Au lendemain des élections législatives, beaucoup imagine (espère ?) que le Président de la République devra nommer un Premier ministre parmi son opposition. Situation ubuesque ? Pourtant, cela est prévu par la Constitution de la Ve République qui a déjà connu trois cohabitations. Alors entre Président et Premier ministre, qui a le pouvoir ?

1- Impossible de gouverner sous une cohabitation ?

Gouverner ou présider sous une cohabitation est-il compliqué ? La question est légitime car cela fait 22 ans que l’on a pas connu de cohabitation. Les jeunes électeurs n’étaient donc pas nés lors de la dernière cohabitation et les trentenaires eux-mêmes ne s’en rappellent pas. Elle remonte à 1997, où le socialiste Lionel Jospin, à la tête de la gauche plurielle, a imposé une cohabitation au président Jacques Chirac. Le tout après avoir dissous l’Assemblée nationale, deux ans après avoir été élu Président. Tiens, tiens, cela rappelle quelque chose…

Ces derniers jours, plusieurs voix alertent sur le chaos d’une telle situation. Le pays serait ingouvernable. Pourtant la cohabitation Chirac-Jospin a vu de grandes lois être votées : les 35 heures (à salaire égal), la création du PACS, la couverture maladie universelle, l’allocation personnalisée d’autonomie pour personnes âgées, la présomption d’innocence, la limitation du cumul des mandats, etc.
La loi continue à se faire, le pays à être gouverné et le Président à présider.

2- Que préside le Président ?

La Ve République a été conçue comme un régime semi-présidentiel (avec l’élection du président au suffrage universel). Le Président a donc de nombreux pouvoirs à l’inverse des autres chefs d’Etat comme en Allemagne ou en Italie où leur rôle est surtout protocolaire. Sans avoir pour autant tous les pouvoirs.

En tête de ses pouvoirs régaliens, l’armée. Il est le Chef des Armées et à ce titre, c’est lui qui a le contrôle des 3 armes (Marine, Terre, Air) et de la valise nucléaire. Pour autant, l’article 20 de la Constitution précise que le gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ». Et ce sans vote, sauf en cas de déclaration de guerre ou d’intervention supérieure à 4 mois : « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention ».
Mais comme le rappelle le ministère des Armées, le Président « décide l’emploi des forces et détient à cet effet la responsabilité et le pouvoir d’engager le cas échéant les forces nucléaires ». Bref, nous sommes ici au cœur d’un pouvoir bicéphale.

En revanche, c’est le Président qui négocie et ratifie les traités. Si la nation et les institutions sont menacées, l’article 16 lui octroie même des pouvoirs exceptionnels.

Et pour maintenir l’équilibre des pouvoirs face à son Premier ministre, il a plusieurs possibilités : l’organisation de référendums et la nomination de trois membres du conseil constitutionnel et de son président. Conseil constitutionnel qu’il peut saisir pour examiner une loi.

Et si tout cela ne lui convient plus, il peut dissoudre l’Assemblée nationale tous les douze mois…

3- Le Premier ministre a la loi de son côté

Le rôle de Premier ministre a été effacé depuis 20 ans par des présidents omniprésents jusqu’à se faire traiter de « simples collaborateurs ». En effet, quand le Président a la majorité à l’Assemblée nationale, son poids politique fait qu’il décide de tout en déterminant même la politique du gouvernement.

Mais le rôle constitutionnel du Premier ministre s’expose au grand jour avec des cohabitations. Car comme l’indique l’article 20 de la Constitution : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Bref, il fait les lois. Ce que l’article 21 détaille ainsi : « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires ».

Bref, gouverner sous la cohabitation n’est pas plus compliqué que cela, pour peu que le Premier ministre ait une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Avec une majorité relative (moins de 50% des députés), il aura beaucoup de difficultés à faire voter ses projets de lois. Il pourra utiliser sous conditions l’article 49.3. De son côté, le Président aura encore le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale.

Finalement, celui qui résume le mieux ce pouvoir exécutif partagé est Charles De Gaulle : « un esprit, des institutions, une pratique ».

Alexandre Marsat

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