Est-ce qu’une équipe de football est plus intelligente ensemble qu’un footballeur seul ? Des travaux sur l’intelligence collective des équipes tendraient à prouver que oui. Mais on n’en est qu’aux débuts du match

« J’ai toujours pensé que le football naît du cerveau, et non des pieds. » Arrigo Sacchi, entraîneur du grand Milan AC des années 80-90 fut l’un des premiers à parler de l’intelligence collective des équipes même si le terme n’était pas employé encore à l’époque. « Le collectif est meilleur que l’individu » était l’un de ses mantras et les grandes équipes semblent confusément meilleures que la somme de leurs joueurs. En France, le grand Saint-Étienne des années 70 collectionnait les titres alors que ses joueurs n’étaient pas incontestables en Équipe de France.

« C’est un concept récent, qui date des années 70-80 et il y a peu de recherches là-dessus » confirme Yoann Drolez, auteur d’une thèse sur le sujet qui crée un jalon dans le domaine. Et c’est ce qui l’a incité à vouloir « prouver et mettre en évidence l’intelligence collective dans les équipes de foot. » Et ce en testant la capacité d’organisation et de coordination d’un groupe d’individus qui ne peut pas avoir recours à la parole pour le faire. C’est le principe du foot. Et à terme, l’idée pour lui était de parvenir à optimiser le processus en aidant les équipes sportives à développer le concept. Mais là, ce n’est encore qu’un objectif.

Footballeurs et banc de poissons

C’est un documentaire de 2005 qui a incité Yoann Drolez à se lancer dans cette étude novatrice : axé sur le travail d’entraîneur de Christian Gourcuff, il met en parallèle les mouvements synchronisés d’une équipe de football avec ceux d’un banc de poisson. Sympa pour les joueurs.

Armé de ce premier travail empirique, le chercheur a voulu tester d’abord la capacité des équipes à anticiper en projetant une vidéo de match devant des joueurs expérimentés ou pas. Et de leur soumettre un QCM en leur demandant ce qu’ils pensaient que le joueur sur l’écran allait faire. Il a ainsi constitué des équipes de sportifs assis et en a conclu que c’était l’équipe la plus expérimentée qui avait les meilleurs scores.

Mais aussi et surtout que « les équipes de football parviennent à anticiper les actions de jeu mieux que le feraient les individus, y compris un expert. Si la capacité d’une équipe à anticiper collectivement dépend en partie de son expérience, une diversité cognitive (mesurée) joue également un rôle prépondérant. » Il apparaît en effet que si l’unité de l’équipe est essentielle, deux ou trois éléments « qui lisent le jeu différemment » sont indispensables.

Du désordre et de la diversité

Ensuite, sur l’aspect décisionnel, il a testé la capacité de décision des individus par rapport à l’équipe lors des phases de transition. Là, les joueurs testés avaient le choix intégral de décider leur attitude. Il apparaît que « les équipes sont plus rationnelles que les scores de rationalité individuels. » Enfin, avec des outils statistiques permettant de mesurer les déplacements à 360°, Yoann Drolez a pu estimer que « la majeure partie du temps, les équipes sont très coordonnées ». Mais les défenseurs plus que les attaquants « qui sont là pour créer du désordre ».

Pour autant, il faut quand même un juste équilibre entre des connaissances partagées et « un minimum de diversité ». Surtout, ces résultats pour le football apparaissent comme difficilement transférables. D’abord aux autres sports d’équipe parce que « c’est le sport où il y a le plus d’incertitudes : seules 1 à 2% des actions de jeu se terminent par un but. » Et a fortiori encore moins aux domaines professionnels classiques, « sauf peut-être les pompiers ou les gendarmes, les métiers qui doivent agir dans l’urgence sans forcément avoir recours à la parole. »

Mais en attendant, il reste à savoir si un banc de poissons réussi à faire mieux.

Jean Luc Eluard

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