Un collectif de scientifiques, d’universitaires et d’experts de différents horizons a lancé l’Observatoire de la surveillance en démocratie. L’objectif ? Réaliser un état des lieux des techniques de surveillance mais aussi comprendre les effets sur les populations. Sans oublier d’initier un débat public autour de la surveillance. Elia Verdon et Yoann Nabat, porteurs de projet nous expliquent les enjeux démocratiques, juridiques et sociologiques de la surveillance
En quoi consiste la surveillance des populations et la vidéo-surveillance ?
Elia Verdon et Yoann Nabat : La surveillance des populations n’est pas nouvelle car elle est liée à la construction des états modernes. Ce sont des surveillances qui concernent tout le monde. Et ce depuis les registres paroissiaux avant même de passer aux registres étatiques.
L’Etat a besoin de connaître ses populations et ce n’est pas un problème en soi. Mais cela se traduit aujourd’hui par un nombre important de dispositifs, plus ou moins techniques et technologiques. Par exemple, le fichage est une modalité de surveillance et de collecte d’informations, tout comme les écoutes téléphoniques. Cela passe aussi par la vidéosurveillance qui est une surveillance de plus en plus perfectionnée. Cette surveillance ne permet pas seulement de regarder passivement des images mais permet aussi d’appliquer des logiciels, des algorithmes ou de reconnaître des personnes par la reconnaissance faciale.
Avec le développement de l’informatisation, la surveillance a été exponentielle. Il y a eu une possibilité d’accès beaucoup plus rapide aux données inscrites dans les fichiers mais aussi d’inscrire de plus en plus d’informations sur les individus.
Quelles sont les risques d’une telle surveillance ?
Elia Verdon et Yoann Nabat : Tous ces outils de surveillance présentent un même risque principal : l’atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Ces dispositifs sont toujours très intrusifs. Ils atteignent tous à la vie privée. Si elle est mise en place dans l’espace public, la vidéosurveillance algorithmique et de reconnaissance faciale, portera atteinte à la liberté d’aller et venir anonymement dans l’espace public. Dans le cadre de manifestation, la reconnaissance faciale, cela portera atteinte à la liberté de manifester.
Si les individus sont reconnus ainsi et fichés, certains seront beaucoup moins à l’aise d’aller en manifestation. In fine, cela peut porter atteinte à la démocratie libérale.
Le danger est aussi celui du non-débat avec l’argument sécuritaire, omnipotent, qui congédie toute discussion. Les outils sécuritaires sont peu débattus car il y a toujours le motif de sauvegarde de l’ordre public et bien sûr d’éviter les attentats. Cela justifie toujours plus d’outils sécuritaire et de surveillance. Et ce avec le risque de ne jamais revenir en arrière avec un risque pour l’Etat de droit.
Cette logique est pernicieuse.
Comment y remédier pour respecter les libertés publiques ?
Elia Verdon et Yoann Nabat : Il est tout d’abord important d’informer et de réaliser de la médiation auprès du grand public pour interroger ces techniques et les faire connaître. A partir du moment où on les connaît, on peut comprendre quelles influences ils peuvent avoir sur les droits et libertés et la démocratie.
Cette médiation conduit à remédier au discours du « je n’ai rien à cacher, cela ne me concerne pas ». Cela conforte les biais d’accoutumance et de banalisation.
Ensuite, la formation via des cours d’informatique pour toutes et tous de l’école élémentaire à l’université. Par exemple, le fait de comprendre si un fichier est centralisé ou décentralisé permet de comprendre comment la surveillance fonctionne.
Il faut aussi un meilleur encadrement législatif de ces outils, notamment en renforçant le rôle des contre-pouvoirs. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteurs comme la CNIL ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Mais tous ces organes ont peu de pouvoirs, il n’ont pas de droit de veto et ne sont que consultatifs.
Il faut renforcer cette prise de conscience.
Propos recueillis
par Alexandre Marsat
L’Observatoire de la surveillance en démocratie organise une conférence : « La surveillance, déjà gagnante des Jeux de Paris 2024 ? » le 10 juin 2024 à 18h30 à Cap Sciences Bordeaux.
L’Observatoire de la surveillance en démocratie a reçu le soutien de l’université de Bordeaux dans le cadre d’un appel à projets IDEX.