La connexion Atlantique-Méditerranée s’est refermée il y a 6 millions d’années, au niveau actuel de Gibraltar, engendrant une grave crise environnementale. Ce phénomène a notamment favorisé le refroidissement des océans et tout le climat terrestre provoquant la création de la calotte polaire arctique. Pour mieux comprendre cette histoire géologique, Emmanuelle Ducassou, sédimentologue du laboratoire bordelais EPOC a co-dirigée une expédition internationale de forages marins. Elle nous explique le rôle de la Méditerranée dans la circulation océanique globale

Comment le détroit de Gibraltar a-t-il pu participer à la création de la calotte polaire arctique ?

Emmanuelle Ducassou : Tous les détroits sont des passages très étroits entre deux masses continentales qui engendrent des échanges de masses d’eau entre des océans ou des mers qui sont partiellement isolés. Ces masses d’eau vont alors avoir des caractéristiques différentes comme la température ou la salinité. Ces deux éléments vont engendrer des densités différentes. Or, la densité des masses d’eau, c’est le moteur de la circulation océanique, c’est ce qui créé les courants marins. Dès qu’il y a une restriction, une fermeture ou une ouverture d’un détroit, cela va altérer l’organisation générale des océans, et notamment le transport de chaleur associé à ces courants. Cela va donc transformer les climats.

A Gibraltar, ce sont des eaux chaudes et salées qui sortent de Méditerranée et qui vont monter vers les hautes latitudes de l’Atlantique. Si ce courant-là s’arrête, il n’y a plus d’apport de chaleur aux hautes latitudes, ce qui va favoriser l’accumulation de la glace continentale au niveau du pôle.

Il y a 6 millions d’années, à la fin du Miocène (Messinien), la connexion entre la Méditerranée et l’Atlantique s’est réduite drastiquement. La Méditerranée s’est retrouvée isolée et comme elle reçoit assez peu d’apports d’eau douce par les fleuves et les précipitations, le sel marin s’est concentré au point de précipiter sur les fonds. Il y a une couche de 1,5 kilomètre de sels déposée actuellement au fond de la Méditerranée, soit 6% du sel de l’océan mondial piégé lors de cet événement. C’est ce que l’on appelle la crise de salinité messinienne. Cette perte de sel pour l’océan global a ralenti la circulation océanique véhiculant moins de chaleur vers les pôles. Et dans le même temps, en piégeant ce sel, du carbone a aussi été capturé, perturbant son cycle, réduisant l’effet de serre et donc favorisant le refroidissement du climat. Entre 7 et 5,3 millions d’années, les températures de surface des océans ont baissé de ~5°C dans tous les océans.

Comment la connexion Atlantique- Méditerranée a pu se fermer totalement puis se rouvrir ?

Emmanuelle Ducassou : C’est lié à la tectonique des plaques. La plaque africaine se déplace vers le nord, entrant en collision avec la plaque eurasiatique. Au Messinien, une poussée un peu plus forte a créé une chaîne de montagnes arquée (la Sierra Nevada en Espagne, le Rif au Maroc) et un peu plus à l’est, un arc volcanique s’est formé (aujourd’hui éteint et enfoui).

A la faveur d’une hausse du niveau marin et/ou d’un séisme, les eaux atlantiques ont pu se frayer un chemin vers la Méditerranée partiellement asséchée, générant un éboulement, comme une rupture de barrage de très grande échelle et de manière catastrophique. Les études montrent que cette remise en eau de la Méditerranée s’est effectuée en seulement 2 ans.

Ces obstacles ont fortement limité les échanges d’eau entre la Méditerranée et l’Atlantique.

Est-ce que la Méditerranée pourrait se refermer et quels seraient les effets ?

Emmanuelle Ducassou : Cela pourrait se reproduire car la poussée de l’Afrique vers le nord est toujours active. La Méditerranée est elle-même en train de disparaître via plusieurs zones de subduction. C’est pour cela que l’on observe des zones sismiques et volcaniques actives en Méditerranée. Aujourd’hui, Gibraltar ne fait que 14 kilomètres de large et 300 mètres de profondeur mais une fermeture pourrait se faire aussi au niveau du seuil entre la Sicile et la Tunisie. Cependant de tels phénomènes se produisent sur des échelles de temps qui se comptent en centaines de milliers d’années voire en millions d’années…

Propos recueillis
par Alexandre Marsat

Emmanuelle Ducassou, enseignante-chercheuse, est sédimentologue au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC – CNRS, Bordeaux INP et université de Bordeaux). Elle est co-chef de l’expédition IODP 401, mission de recherche océanographique internationale.

Newsletter Curieux !
Recevez chaque semaine la newsletter qui démêle le vrai du faux et aiguise votre curiosité !