On accuse parfois l’open-space de tous les maux du management moderne. S’il n’en est pas forcément le responsable, il en accentue les dérives. Faut-il le supprimer ? Ou l’aménager ?
« L’open space n’a que des inconvénients ». C’est un sentiment diffus qui n’était étayé que par des sondages « peu représentatifs » souligne Tiphaine Do qui, avec Audrey-Rose Schneider, est l’autrice de la première étude menée par la DARES, l’organisme statistique du ministère du travail. Parue en décembre 2023, cette enquête permet de l’affirmer : oui, l’open-space est bien la plaie du salarié. Ou pour être plus nuancé : les salariés en open-space sont moins heureux que les autres. Sans que l’on ne sache pour l’instant si cela tient à la nature de cet espace ou aux tâches que l’on y exerce en priorité.
Deux salariés sur cinq
Parce qu’à l’heure actuelle, ils sont 3,2 millions, soit deux employés sur cinq à travailler dans cet espace apparu aux États-Unis dans les années 50 et qui a commencé à se répandre en France dans les années 80. De même, l’étude de la DARES ne fait pas la différence entre l’open-space « première génération », c’est à dire de vastes plateaux indifférenciés où l’on parque les bureaux en rang d’oignon et les nouveaux espaces, paysagers, scindés en unités de travail, où l’on préserve des espaces de repos.
Pourtant, cette étude réserve des surprises : les salariés sont peu nombreux à se plaindre d’un environnement bruyant (8% contre 6% en bureau individuel), défini dans cette enquête comme « la capacité à entendre quelqu’un qui parle normalement à trois mètres ». Un peu restrictif lorsqu’on sait qu’un open space dégage 60 décibels. Loin des 80 décibels qui sont la limite de la nuisance au travail. Mais suffisamment pour induire des troubles de la concentration.
L’arrêt maladie comme indicateur
Mais plus que des troubles concrets, c’est davantage sur l’ambiance générale que pèse le travail en open-space. Le rapport de la DARES note que leurs salariés « obtiennent moins de respect et d’estime pour leur travail, éprouvent moins souvent la fierté du travail bien fait (59% contre 64%) et le sentiment de faire quelque chose d’utile aux autres (60% contre 67%) ». Pas étonnant alors, en plus de la promiscuité mise en lumière avec l’irruption du Covid, qu’ils soient aussi plus souvent en arrêt maladie. « Et ce n’est pas uniquement en France » : des études danoises et suédoises pointent la même tendance.
Alors dans ces conditions, que reste-t-il à l’open-space ? Pas grand chose si l’on en croit l’étude de la DARES. Mais tout de même une plus grande solidarité entre collègues. Et des locaux jugés moins sales et moins humides. C’est peu. D’autant que la solidarité se double d’une plus grande propension à subir des incivilités pointées par 58% des employés.
Moins de discussions
Pourtant les entreprises continuent à favoriser l’open-space, vécu comme un facteur de créativité, de travail en équipe, de cohésion d’entreprise. Peut-être mais… loupé là aussi. Une étude britannique sur des entreprises passées du bureau traditionnel à l’espace ouvert montre une chute de 70% des interactions directes, remplacées par les communications électroniques. Reste que l’open-space évolue vers des espaces plus séparés, mieux conçus, qui donnent une plus grande illusion d’intimité. Avec son corollaire : on n’économise pas plus de place qu’avec les anciens bureaux puisque la taille des espaces collaboratifs est triplée dans la plupart des projets. Il va falloir faire longtemps encore avec l’open-space et sa surveillance accrue des employés.
Jean Luc Eluard
Avec le soutien du ministère de la culture