Avec 800 nouveaux cas par semaine, la Guyane subit sa plus grave épidémie de dengue depuis plusieurs décennies. Le professeur Charles Cazanave, médecin infectiologue au CHU de Bordeaux précise les raisons d’une telle épidémie. Il nous explique aussi les formes du virus et nous dit si la dengue peut arriver en France métropolitaine
Pourquoi la Guyane est-elle confrontée à une grave épidémie de dengue ?
Charles Cazanave : C’est une épidémie qui a débuté à l’été 2023 et qui est assez inédite par rapport aux précédentes. Depuis le début de l’année 2024, il y a une progression favorisée par la saison des pluies commencée en décembre, bénéfique à la prolifération des gîtes larvaires. C’est idéal pour les moustiques du genre Aedes (dont le moustique tigre fait partie).
Cette année, la Guyane affronte une épidémie de dengue exceptionnelle depuis plusieurs décennies avec à ce jour 6 600 cas confirmés (par test) et 12 900 cas (évocateurs) pour un bassin de population de 300 000 habitants seulement. Santé publique France fait état de 4 000 confirmés entre le 1er janvier et le 15 février sur les 6 600 cas comptabilisés depuis l’été dernier. Nous sommes donc en phase de pic épidémiologique.
Il est probable que les traitements de gîtes larvaires des moustiques ont été dépassés par une saison des pluies très marquée. Il faudra voir si l’on a aussi un type de dengue différent avec une diffusion plus importante du virus.
Par ailleurs, les arboviroses (virus transmis par les arthropodes dont les moustiques) tendent à augmenter avec le réchauffement et l’accumulation des moustiques.
Faut-il s’attendre à des épidémies de dengue en France métropolitaine ?
Charles Cazanave : C’est un élément que l’on surveille avec beaucoup d’attention car la réponse est oui. Pour parler d’épidémie, il faut que la maladie se dissémine. Cela est possible avec le réservoir (l’homme) et les moustiques Aedes.
Pour l’instant en France métropolitaine, nous avons surtout eu des cas importés donc cela ne relève pas de l’épidémie : des personnes reviennent avec la maladie d’une région où la dengue circule. L’an dernier, on a compté 2 000 cas importés en France métropolitaine, majoritairement en Île de France, Auvergne Rhône-Alpes, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine.
En tant qu’infectiologues, nous sommes alors hyper-vigilants parce que si un moustique-tigre pique une personne contaminée, le moustique pourra alors transmettre la dengue à une autre. L’an dernier, on a repéré 43 cas autochtones : des personnes qui ont contracté le virus de la dengue en métropole.
A l’origine, c’est une maladie inféodée aux zones tropicales mais avec le réchauffement climatique, elle remonte vers le nord.
Quels sont les symptômes de la dengue et comment guérir du virus ?
Charles Cazanave : La dengue est une maladie globalement bénigne mais il peut y avoir des formes graves. En Guyane depuis début l’été 2023, il y a eu 300 personnes hospitalisées sur les 3 hôpitaux guyanais dont 12 passées en réanimation et 4 décès (3 patients fragiles). Qui dit maladie virale, dit pas d’antibiotique… L’incubation est très courte : une fois piquée, les symptômes apparaissent 3 à 7 jours après. Dans la majorité des cas, il n’y aura pas de symptômes.
Pour les formes symptomatiques, on voit un syndrome grippal avec de la fièvre, maux de tête, et des douleurs diffuses. Il peut y avoir des atteintes des conjonctives avec les yeux rouges et un rash cutané où la peau devient rouge. La forme la plus grave (1% des cas) est la dengue hémorragique avec des hémorragies multiples notamment gastro-intestinales.
Dans la très grande majorité des cas, il n’y a pas de traitement il faut donc attendre.
En revanche, en traitement préventif, il faut lutter contre les moustiques en supprimant tous les potentiels gîtes larvaires en vidant tous les récipients contenant de l’eau.
Propos recueillis
par Alexandre Marsat