Enfant, une de mes filles avait remarqué qu’elle était plus souvent enrhumée que moi. Un jour, du haut de ses 3 ans, elle me posa donc la question : « Maman, pourquoi moi je suis tout le temps enrhumée et pas toi ? » N’osant me lancer dans de longues explications, je lui répondis : « Parce que c’est une maladie virale et que les virus ont peur des virologues. » Elle avait semblé dubitative, mais n’avait pas cherché plus loin. Aujourd’hui, elle a 14 ans et il est temps de lui dire la vérité.
Entendons-nous bien sur ce qu’est un rhume. C’est une infection virale bénigne et très contagieuse. Chez l’adulte, elle se traduit par une rhinorrhée (c’est-à-dire le nez qui coule), en général sans fièvre, qui guérit en 3 jours. Chez l’enfant, celle-ci peut être associée à de la toux, des myalgies (courbatures), de la diarrhée et la fièvre peut être élevée. Il ne s’agit donc pas d’une grippe responsable de tableaux plus sévères, ni d’une angine ou d’une bronchite.
Cette infection guérit le plus souvent sans complication. Mais elle peut évoluer vers une otite, surtout chez les enfants, en raison de la communication naturelle entre la région nasale postérieure et l’oreille interne. Quant à sa fréquence, elle varie en effet suivant l’âge : entre six et huit épisodes, et même parfois jusqu’à douze par an, chez un enfant d’âge préscolaire, contre deux à quatre chez l’adulte. Ma fille avait donc raison en notant qu’elle était plus souvent enrhumée que moi !
Plusieurs types de virus impliqués
De très nombreux virus sont responsables des symptômes du rhume. Les Rhinovirus sont retrouvés dans 30 à 50 % des cas. Dans 10 à 15 % des cas, c’est un coronavirus, autre que le virus du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), du MERS (Middle East respiratory syndrome) ou le SARS-CoV-2 responsable du COVID, qui est en cause. Et dans 5 à 15 % des cas, des virus grippaux sont impliqués. Enfin, le virus respiratoire syncytial (VRS), qui est le principal agent de la bronchiolite du nouveau-né, peut être responsable de 5 % des rhumes chez les enfants entre 2 et 5 ans.
Chaque virus porte à sa surface des protéines, aussi appelées déterminants antigéniques. Celles-ci sont repérées par notre système immunitaire qui les reconnaît comme étrangères à l’organisme. Il produit alors des anticorps, qui détecteront ultérieurement les protéines virales et aideront à éliminer les envahisseurs. Une analyse du sérum sanguin (ou sérologie) permettra de mettre en évidence lesdits anticorps.
En analysant les génomes de nombreux virus, les virologues ont pu identifier les gènes qui servent à produire ces protéines. Ils ont constaté qu’au sein d’une même famille de virus, les gènes utilisés pour produire les déterminants antigéniques ont des séquences très proches, alors qu’ils diffèrent d’une famille virale à l’autre.
Dans le détail, entre les virus d’une même famille, il y a plus de 80 % d’homologie entre les séquences des gènes de déterminants antigéniques. Si ces différences n’induisent que des modifications mineures au niveau des protéines produites, elles sont cependant suffisantes pour distinguer des espèces virales : ainsi dans la famille des Rhinovirus, on dénombre 165 espèces différentes.
Des rencontres mises en mémoire
Pendant l’enfance, le système immunitaire est donc confronté non seulement à diverses familles virales, mais aussi à différentes espèces au sein d’une même famille. Lors du premier contact avec un virus, il va mettre en marche la machinerie de lutte contre l’infection. L’organisme est alors le siège d’une cascade d’événements. Laquelle se traduit par l’apparition des symptômes cliniques, et aboutit non seulement à l’élimination du virus, mais aussi à la constitution de la mémoire immunitaire.
C’est cette mémoire immunitaire qui permettra, lors d’un contact ultérieur, l’élimination rapide d’un virus de la même famille : le système immunitaire reconnaîtra plus rapidement les déterminants antigéniques auxquels il aura déjà été confronté, et éliminera le virus avant même l’apparition des signes cliniques. L’enfance est donc la période au cours de laquelle notre organisme va constituer et enrichir sa mémoire immunitaire, en traversant de nombreux rhumes causés par des virus de familles et d’espèces différentes.
Progressivement, notre système immunitaire est donc de plus en plus apte à réagir face aux infections virales courantes. Mais la nature étant riche et variée, il arrive qu’un virus jamais rencontré infecte nos fosses nasales. Et ce jour-là, nous sommes enrhumés… et nous enrichissons encore notre mémoire immunitaire !
Nous n’avons pas fini d’être enrhumés
Si nous regardons le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide, les rhumes sont peut-être éprouvants, mais ils sont enrichissants. Pas question pour autant de prendre la chose à la légère.
Chez les personnes dont le système immunitaire est déficient du fait d’une pathologie (leucémies, cancers…), de traitements (chimiothérapies, corticoïdes au long cours…), ou d’un âge avancé (on parle d’immunosénescence), toute infection virale, y compris un rhume, peut avoir de graves conséquences. Et si l’on n’est pas soi-même concerné, lorsqu’on est enrhumé, mieux vaut donc se tenir à l’écart de ceux et celles qui le sont, pour éviter de leur transmettre nos virus, et donc les protéger.
Pour conclure, gardons à l’esprit que le rhume est une maladie virale dont nous ne sommes pas prêts de nous débarrasser. Il existe en effet une telle diversité d’espèces virales que personne n’a jamais été confronté à tous les virus existants. D’ailleurs, toutes les espèces virales présentes sur le globe n’ont pas été caractérisées. Enfin, la plasticité des génomes viraux est telle que de nouveaux virus peuvent apparaître à tout moment, et infecter des organismes aux systèmes immunitaires vierges de toute expérience… donc incapables de les éliminer.
Anne Goffard, Médecin, Professeure des Universités – Praticienne Hospitalière, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.