1 QUESTION A. La guerre n’est pas le propre de l’homme. Les animaux, mais aussi les végétaux mènent leurs propres guerres. Comment s’y prennent les arbres ? Réponse du microbiologiste Francis Martin, directeur de recherche émérite à l’INRAE

Francis Martin : « Toujours plus haut, toujours plus vite ! Telle pourrait être la devise des arbres en compétition permanente pour accéder à la lumière, indispensable à la fabrication de leurs sucres. Dans cette course effrénée, les espèces capables de croître très vite, et de capter le plus de lumière possible ont l’avantage. Dans nos chênaies-hêtraies, c’est le cas du hêtre dont le houppier capture la lumière au détriment du chêne. 

Dans le même temps, ils doivent aussi se défendre contre des nuées d’insectes herbivores, phytophages. Depuis que les arbres existent sur Terre, il y a des insectes qui s’invitent au banquet ! Au printemps, lorsqu’un arbre se couvre de jeunes feuilles tendres, celles-ci sont immédiatement piquées, percées, sucées, arrachées, grignotées par un insecte. 

Les arbres sont des spécialistes de la guerre chimique

L’arbre ne se laisse pas faire. Grâce à sa longue co-évolution avec les insectes, il est capable d’identifier l’assaillant, et les feuilles agressées d’envoyer des signaux d’alerte aux autres feuilles afin qu’elles puissent se préparer et repousser, voire éliminer l’ennemi. Pour mener à bien cette guerre, les plantes disposent d’un arsenal chimique d’environ 500 000 molécules différentes. On y trouve notamment de la nicotine, de la morphine ou de la strychnine. Ces alcaloïdes ont une activité toxique sur les insectes, mais également sur les mammifères, humains compris. 

Cet arsenal comprend aussi des tanins condensés, arme de prédilection du chêne pédonculé contre la larve de la teigne d’hiver du géomètre. Ces molécules sont présentes dans les feuilles du chêne. Elles s’accumulent dans un sac situé au cœur de la cellule, la vacuole. Et sont libérées en masse, lorsqu’une chenille mord une feuille ! Indigestion garantie. A la fin de l’été, il y a tellement de tanins dans une feuille de chêne, quelle est proprement immangeable. 

Des géants à la merci de plus petits qu’eux

Cette spectaculaire chute de feuille estivale témoigne du stress hydrique ressenti par ces arbres. La sécheresse fragilise les arbres et les rend plus vulnérables face à leurs agresseurs. PHOTO Alexandrine Civard-Racinais

Parfois la victoire change de camp. Près de 70 % des chênes de la forêt de Chantilly sont en train de dépérir, victime de la sécheresse et de l’attaque des larves de hannetons. Durant trois années de suite (2018, 2019, 2020), cette forêt a connu un climat semi-aride. Dans ces conditions, les chênes, plantés dans un sol sablonneux, et affaiblis par le manque d’eau, ne peuvent plus résister à l’invasion de hannetons qui dévorent leurs petites racines. En temps normal, les arbres se seraient défendus et auraient repoussé l’assaillant, mais lorsqu’ils sont affaiblis leurs défenses deviennent moins efficaces et peuvent être submergées. 

Les sécheresses à répétition s’ajoutent à la longue liste des agressions et des stress subis par les arbres. Ils doivent non seulement lutter contre leurs ennemis immémoriaux, mais aussi contre des insectes ou des microbes venus du bout du monde à la faveur de la mondialisation des échanges ou du réchauffement climatique. Il n’est pas facile d’être un arbre aujourd’hui. 

Toutefois, les forêts ont traversé maintes périodes difficiles au cours des millénaires. Elles ont toujours survécu en exploitant l’extraordinaire résilience des arbres. Parions qu’elles traverseront, une fois encore, ces temps difficiles et continueront à sculpter nos paysages. »

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

A lire et à visionner pour approfondir ce sujet : 

Les arbres aussi font la guerre (HumenSciences, 2021). Dans cet ouvrage accessible au grand public, Francis Martin revient sur les myriades d’évènements, de maladies, d’agressions subies par les arbres au cours de leur vie, et la manière dont ils y font face. Tout en prenant le lecteur par la main, pour l’emmener en forêt.

• La Forêt hyperconnectée (Editions La Salamandre). Un abécédaire sur le monde de la forêt. 26 chapitres pour découvrir les multiples liens tissés par les vivants qui peuplent les forêts.

•« Arbres géants et géniaux ». Conférence à deux voix (avec Catherine Lenne) proposée le 11 avril 2022 lors de la 4ème édition du salon du livre LIRE LA NATURE. Herbivorie chez les insectes (32 :41)

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