Tromper les virus pour ne pas être infecté : c’est la solution trouvée par AIS-Biotech pour lutter contre la grippe. Et potentiellement d’autres maladies qui nécessitent des sucres pour pénétrer nos défenses
Ce n’est pas la première fois que l’on utilise la glycobiologie, la science des sucres. Certaines entreprises s’en servent pour fabriquer des biomatériaux dans l’alimentaire ou pour du lait maternel. Mais AIS-Biotech innove en utilisant des sucres complexes dans le domaine de la santé. Le principe est simple : les sucres complexes présents à la surface de nos cellules sont utilisés par certains virus, dont le virus de la grippe, pour les pénétrer et ainsi nous infecter. Il suffit alors de fabriquer ces sucres complexes et de les répandre en masse dans la sphère ORL pour que les virus en soient saturés et ne puissent plus se fixer pour infecter la personne.
Ça paraît simple mais il fallait pourtant une technologie récente développée par le laboratoire Cermav du CNRS pour y parvenir. Car dans « complexe » il y a… complexe… et donc leur fabrication en masse était jusqu’alors impossible. Certes, les bactéries fabriquent généralement des sucres mais elles les utilisent. Le laboratoire a mis au point une technique de modification génétique de bactéries e-coli pour qu’elles produisent en quantité les sucres demandés et ne puissent pas les utiliser pour elles-mêmes. La société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Linksium a aidé au dépôt du brevet de cette technique et à sa maturation en application.
Agir en préventif
A partir de là, on peut donc envisager des sprays nasaux contenant ces sucres qui tromperaient les virus. Pour Aurélie Juhem, responsable de la jeune start-up née début 2023 qui travaille à finir de mettre au point cette technologie, « cela peut agir en préventif, avant l’infection, plus efficacement qu’un vaccin. Parce que les virus mutent vite et qu’il faut environ six mois entre la mise au point d’un vaccin et son utilisation. C’est pour ça que le vaccin contre la grippe n’est pas totalement efficace. Il y a encore un milliard de cas chaque année dans le monde. »
Le gros avantage de Glycoflu, le spray nasal en cours de développement, c’est qu’il fonctionnerait potentiellement quelle que soit la mutation du virus. Testé sur une dizaine de souches différentes, il a répondu présent de la même manière, y compris contre des souches résistantes aux antiviraux.
Bloquer la progression du virus
Et il pourrait aussi avoir des effets thérapeutiques, une fois l’infection déclenchée : « La contamination commence dans une cellule et elle s’étend par voie nasale en passant de cellule en cellule. On peut bloquer sa progression tant qu’elle ne s’est pas trop étendue, avant que le virus ne migre vers les voies basses. Parce que c’est en atteignant les voies basses que ça entraîne les formes graves. »
La grippe est la porte d’entrée de la technologie mais d’autres maladies sont potentiellement concernées. En principe, toutes celles dont les virus ou les bactéries utilisent des sucres complexes pour pénétrer l’organisme comme des maladies nosocomiales résistantes aux antibiotiques, la grippe aviaire, le choléra, etc. mais pas le SarsCov2, pas de chance…
Reste que la route est longue avant le petit miracle envisagé. Elle conduit à… 2030, horizon vers lequel tend AIS-Biotech pour une mise sur le marché. C’est qu’il faut encore trouver les bons excipients les mieux acceptés (impossible de mettre uniquement les sucres et leur polymère support dans le spray, il faut respecter les équilibres physiologiques de la muqueuse nasale) et travailler sur la toxicologie. Puis ensuite s’adosser à un laboratoire de pharmacie pour lancer le process industriel. Parce qu’AIS Biotech n’a pas les fonds nécessaires pour le réaliser par elle-même et que ce n’est pas actuellement son business-model. Même si Aurélie Juhem ne veut douter de rien : « C’est une question de moyens mais je ne ferme la porte à rien. On n’est qu’au début de l’histoire. »
Jean Luc Eluard
Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation