Les filles et les garçons ne sont pas en position d’égalité pour l’accès au permis de conduire. En France, l’écart entre les taux de succès des unes et des autres est proche de 10 points au niveau des épreuves pratiques, alors que les taux de réussite sont les mêmes à l’épreuve théorique – soit le passage du Code de la route. L’écart est le même que l’on considère la population dans son ensemble ou qu’on se focalise sur les jeunes.
Les travaux de recherche sur l’accès au permis de conduire sont principalement centrés sur les causes du déclin de la détention de permis. La question du genre y est peu présente.
Quand elle est évoquée, c’est essentiellement pour voir comment, dans le temps long, le taux d’accès des femmes au permis de conduire a augmenté jusqu’à converger vers celui des hommes. On approche d’une situation de parité au milieu des années 1990. La fin du rattrapage des hommes par les femmes en matière d’accès au permis de conduire est d’ailleurs présentée comme l’un des déterminants du plafonnement de l’usage automobile, ou hypothèse du peak car.
Le permis de conduire, un atout pour l’emploi
Les études sur le différentiel d’accès au permis de conduire entre les femmes et les hommes sont donc rares et les constats divergent selon les pays. Les femmes sont désavantagées dans la réussite au permis au Royaume-Uni ou en Finlande, mais pas en Suède ni aux Pays-Bas. En France, le taux de réussite à l’examen pratique du permis de conduire automobile est de 53,4 % pour les femmes contre 62,7 % pour les hommes en 2018, soit un écart de 9,3 points. Cet écart se réduit légèrement d’une année à l’autre, puisqu’il était de 11,6 points en 2009.
Alors que les femmes réussissent aussi bien que les hommes l’épreuve théorique du permis de conduire, pourquoi ont-elles en France un taux de réussite de 10 points inférieur à celui des hommes à l’épreuve pratique du permis B ? Pourquoi réussissent-elles mieux l’épreuve théorique (70 %) que l’épreuve pratique (56 %) ? Pourquoi les hommes réussissent-ils mieux l’épreuve pratique alors qu’ils composent ensuite 86 % des conducteurs de moins de 24 ans tués sur la route ?
L’enjeu est d’importance. Le permis de conduire est l’examen le plus passé en France, avec près de 1,3 million de candidats chaque année. Sa réussite conditionne largement l’insertion professionnelle et sociale des personnes, en particulier celle des jeunes les moins diplômés. Une méta-évaluation récente s’appuyant sur 93 études a mesuré quantitativement l’impact de l’accès à un véhicule sur les situations d’emploi. Il s’avère que la possession d’un véhicule augmente la probabilité d’être en emploi, en particulier pour les bénéficiaires de minima sociaux.
Les différences d’accès au permis de conduire entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences potentielles sur l’insertion professionnelle et les trajectoires de vie des individus. Le respect du principe d’égalité recouvre aussi un enjeu fort pour les pouvoirs publics qui jouent un rôle de régulateur pour les centres de formation à la conduite et pour les centres d’examen.
Les attentes des formateurs influencées par les stéréotypes de genre
Nous nous intéressons au rôle joué par les stéréotypes de genre dans l’accès au permis de conduire. Les stéréotypes associés à la conduite ont été étudiés par les psychologues chez les adolescents et les adultes. Ils reposent sur une vision essentialiste où les compétences de conduite et les prises de risque au volant seraient directement liées au sexe biologique. Par ailleurs, des études par testing ont montré que les stéréotypes sexués sur le permis de conduire étaient utilisés par les employeurs pour qui le permis moto, par exemple, envoie un signal de genre tout autant que de mobilité.
L’influence des stéréotypes de sexe – de manière générale et de manière spécifique à la conduite – a été suggérée comme potentiel facteur explicatif des différences dans la réussite de l’examen pratique du permis B. Ces stéréotypes peuvent être définis comme des croyances sociales sur ce que signifie dans une société donnée le fait d’être un homme ou une femme et ce qui est valorisé pour chaque sexe en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de traits psychologiques, de relations sociales et d’occupations.
Les stéréotypes sur la conduite des femmes reposent sur une croyance sociale en l’incapacité des femmes à gérer les situations stressantes, demandant des prises de décisions rapides, comme le sont les situations routières. Au contraire, le fait d’être un homme amènerait une compétence naturelle pour la conduite, associée à des comportements à risque et infractionnistes. En ce sens, l’homme est considéré comme le prototype du conducteur, par rapport auquel la femme conductrice est définie de façon antonyme. https://www.youtube.com/embed/3J1qxHG2Y44?wmode=transparent&start=0 Thionville : une bourse pour financer le permis de conduire à des jeunes contre 70 heures de travail (France-3 Grand Est, 2022).
Ces stéréotypes peuvent également influencer les performances des individus. La littérature scientifique sur les effets de menace du stéréotype pose l’hypothèse que, lors d’une tâche évaluative, la mise en saillance du stéréotype négatif visant un groupe va avoir un effet direct sur les performances des membres du groupe. Ce phénomène a, par exemple, été largement étudié sur les performances des filles en mathématiques et a été récemment montré auprès des femmes dans le cadre de la conduite automobile. Des études montrent que l’activation du stéréotype négatif de la femme au volant auprès de femmes conductrices a un effet perturbateur sur leurs performances au volant.
Les stéréotypes de genre créent aussi chez les éducateurs des attentes et des pratiques différenciées en fonction du sexe de l’apprenti. Ce phénomène, connu sous le nom de socialisation de genre, a été déjà bien étudié dans les pratiques éducatives parentales et a également été montré chez les enseignants. Pour autant, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’effet du sexe de l’apprenti sur les attentes et les comportements des formateurs et des examinateurs dans le domaine de la conduite automobile.
Un testing sur les auto-écoles
Pour explorer cette hypothèse, nous avons réalisé une expérimentation par test de correspondance. L’objectif du test est de déceler d’éventuelles différences de traitement entre des candidats et des candidates à la préparation du permis de conduire de la part des auto-écoles. Il s’agit de vérifier si des stéréotypes de genre en matière de compétences de conduite, pouvant s’élargir aux difficultés d’apprentissage et de réussite au permis de conduire, sont intégrés par les acteurs de la formation et de l’accompagnement au permis B.
Nous avons fait le choix d’un protocole très simple où une paire de candidats, semblables en tous points sauf par leur étiquette de sexe, effectuent des demandes d’informations aux mêmes auto-écoles. En premier lieu, nous avons créé deux identités fictives de candidats au passage du permis de conduire, une fille et un garçon, âgés de 21 ans, en utilisant des prénoms et des noms très répandus en France (Thomas Bernard et Léa Martin).
Nous avons rédigé deux messages de demandes d’information destinés à des auto-écoles sur le coût du permis de conduire et le nombre d’heures nécessaires, chaque message étant envoyé soit par Thomas, soit par Léa, de façon à ce que chaque auto-école reçoive deux messages différents mais équivalents.
Ensuite, nous avons constitué une base d’adresses d’auto-écoles représentative au niveau national, en sélectionnant au hasard 500 établissements parmi l’ensemble des établissements enregistrés au titre du code APE – NAF 8553Z, pour lequel environ 13 500 sociétés sont immatriculées en France.
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Sur cette base, on dispose d’un échantillon de 176 auto-écoles réparties sur le territoire français. Les résultats de l’étude montrent que le fait d’être une femme affecte positivement à la fois la probabilité d’obtenir une information sur le volume horaire mais également le nombre d’heures proposées. Une auto-école propose en moyenne un nombre d’heures de conduite plus élevé de près de 2 heures aux femmes qu’aux hommes.
En conclusion, il s’avère effectivement que le sexe de l’apprenti influence les appréciations des formateurs avant même le début de la phase d’apprentissage, les amenant à déterminer la durée et le contenu des apprentissages en fonction de croyances socialement partagées sur les compétences des hommes et des femmes au volant.
Dès lors que ces pratiques ont des conséquences dommageables sur l’accès à la conduite des femmes et partant, sur leur insertion sociale et professionnelle, le constat sollicite une intervention du régulateur. Dans ce domaine qui est celui des discriminations, il existe une large gamme d’actions publiques qui vont d’un rappel du cadre de la loi et du principe d’égalité des candidats à la mobilité routière, à des actions de formations et de sensibilisation des auto-écoles, qui sont des structures agréées par l’État.
Denis Anne, Professeur associé, Université Gustave Eiffel; Marie-Axelle Granié, Directrice de Recherches en Psychologie Sociale du Développement, Université Gustave Eiffel; Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave Eiffel
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.