En avril 2023, La Commission européenne a adopté un règlement interdisant à partir de 2035 la vente de voitures particulières neuves émettant du CO2. En réponse, le gouvernement français encourage l’acquisition de véhicules électriques en offrant des subventions à l’achat et en conservant des taxes sur l’électricité moins élevées que celles équivalentes sur l’essence et le diesel. Il accorde également à leurs conducteurs des privilèges, tels que l’accès à des zones à émissions nulles dans les centres-villes ou des places de stationnement réservées.
L’ampleur de la transition à opérer est impressionnante. En 2022, la France représentait à elle seule environ 1,5 million de véhicules neufs vendus. Pour l’ensemble de l’Union européenne (UE), le nombre de véhicules neufs a atteint 11,2 millions soit environ 17 % de la production mondiale de voitures.
En supposant que le parc total de véhicules en France reste constant à son niveau de 2021 (37,9 millions), le temps que les véhicules thermiques en circulation arrivent en fin de vie, la part des électriques devrait atteindre environ 45 % en 2035 et 95 % en 2050, année visée par l’UE pour atteindre la neutralité carbone.
Le taux d’évolution des émissions de CO2 diminuerait en parallèle assez régulièrement, partant de 139 g/CO2/km en 2023 à la moitié en 2035, pour atteindre plus lentement 5 g/CO2/km en 2050, avec peu d’automobiles thermiques encore en circulation.
D’ici la fin de l’année 2034, du point de vue de l’économiste, c’est le coût relatif des véhicules électriques par rapport aux thermiques qui fondera la décision d’opter pour l’un ou l’autre. Ce coût comprend deux éléments : celui de son acquisition et le coût annuel d’utilisation (rechargement en énergie et entretien). Nos calculs mettent ici en avant une marge de progression importante à combler pour les véhicules électriques qui semblent aujourd’hui encore assez peu compétitifs.
L’électrique peu attrayant en zone non urbaine
Le coût d’acquisition intègre ce que l’on va payer pour acquérir le véhicule, son prix net de toute subvention plus les frais d’immatriculation. On le rapportera au nombre d’années d’utilisation et en déduira la valeur de revente. Il y a pour chacun des dépenses spécifiques à additionner : pour un véhicule thermique, il faudra ajouter toute pénalité sur les émissions de CO2 ; pour un électrique, le coût d’achat et l’installation d’un chargeur à domicile.
Les coûts d’exploitation comprennent, eux, ceux de l’énergie (essence, diesel ou électricité), de l’entretien et l’assurance. Pour un véhicule électrique, il faudra aussi compter les frais éventuels d’abonnement à un chargeur hors domicile.
Afin de procéder à une comparaison, nous avons recueilli les données sur un échantillon représentatif de véhicules de chaque type fabriqués par Peugeot, Renault, Dacia et Mercedes-AMG dont nous avons tiré des moyennes suivant les parts de marché. Les coûts ont ensuite été calculés selon la méthodologie utilisée par l’UE, qui fait intervenir le fait de conduire uniquement en ville ou non et la distance annuelle parcourue.
En moyenne, le coût d’acquisition d’un véhicule électrique moyen est plus élevé que celui d’une voiture thermique. Son coût d’exploitation reste néanmoins plus faible. Nous calculons alors qu’en utilisation 100 % urbaine, il reste au total moins cher s’il effectue plus de 9 000 km par an.
Ce seuil est néanmoins de 27 000 km par an pour une utilisation combinée, un chiffre plutôt élevé étant donné que la moyenne française est de 12 000 km par an.
Si le point de rupture est beaucoup plus élevé pour l’utilisation combinée que pour l’urbaine, c’est parce que les véhicules thermiques y fonctionnent plus efficacement. Avec un plus petit nombre d’arrêts et de départs, les récupérations d’énergie au freinage, un des atouts des véhicules électriques, s’y font plus rares. Actuellement, un véhicule électrique ne constitue donc pas un choix économique plus attrayant pour une conduite très majoritairement non urbaine.
Le consommateur en manque d’alternatives
Les résultats moyens des figures précédentes ne fournissent pas une image universelle du parc, mais ils ne cachent que des exceptions relativement marginales. Le segment « sportif » pour lesquels la voiture électrique est moins chère sur toutes les distances parce que la voiture thermique est fortement pénalisée du fait de ses fortes émissions de CO2. On retrouve également le segment « luxe » dans ses versions économes en carburant pour lesquelles la voiture électrique est plus chère car elle est équipée d’une batterie de grande capacité, donc coûteuse.
La comparaison des coûts ne tient pas compte, non plus, des écarts sur la commodité et le confort de conduite qui résultent de leurs différences d’accélération, d’autonomie ou de temps nécessaire pour faire le plein ou recharger le véhicule. Elle se fonde de plus sur les données actuelles des véhicules que ce soit en termes de technologie, de prix d’achat des véhicules et des chargeurs, des niveaux de subvention, des coûts d’immatriculation, des pénalités sur les émissions de CO2 ou des taux de dépréciation des véhicules. Chacun de ces paramètres est susceptible d’évoluer au fil du temps.
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Ces résultats apportent néanmoins du grain à moudre au débat quant aux enjeux soulevés par la directive européenne qui sont de divers ordres. Des défis logistiques et financiers majeurs sont posés à l’industrie automobile, notamment construire ou réaménager des usines pour fabriquer les batteries et les systèmes électroniques, reclasser nombre d’employés des usines de fabrication ou des secteurs de vente et d’entretien des voitures et assurer l’approvisionnement en métaux rares et autres matières premières. En raison des contraintes d’approvisionnement, des modèles électriques équivalents aux thermiques pourraient ne pas être disponibles avant un certain temps, ce qui nuit à la concurrence.
La directive entraîne également des coûts à moyen terme pour les consommateurs du fait que les véhicules électriques, malgré les subventions et taxations favorables, restent bien moins compétitifs hors des villes. En outre, qui ne peut ou ne veut pas payer pour un électrique neuf aura peu d’alternatives moins chères jusqu’à ce qu’un marché des véhicules d’occasion se développe suffisamment.
Les retrofits comme solutions ?
Qui dit arrêt des ventes ne dit pas d’ailleurs que les véhicules en circulation ne continueront pas à émettre du CO2 (et d’autres polluants) pendant de nombreuses années après l’échéance de 2035. Les avantages environnementaux de la directive au niveau mondial seront également compromis si les volumes de vente des véhicules thermiques (neufs ou d’occasion) se déplacent de l’Europe vers des régions qui ne disposent pas d’une législation environnementale similaire.
Une piste de solution pourrait être de transformer des véhicules thermiques en électriques. Cela demande de retirer le moteur, la boîte de vitesses et le système de contrôle électronique du véhicule pour y installer un petit moteur électrique, une batterie et un système de contrôle adéquat. On nomme cette opération « retrofit ».
Elle coûterait approximativement entre 10 000 et 15 000 euros, en fonction de la capacité de la batterie : c’est moins que le prix d’une voiture électrique neuve. Avec des usines dimensionnées à 150 000 retrofits/an, il y aurait moyen d’accélérer la transition vers un parc de véhicules entièrement électriques, d’offrir un plus grand choix aux consommateurs, d’accélérer la réduction des émissions et de réduire le risque d’exportation des thermiques usagés hors Europe. C’est aussi un moyen de reclasser une partie des effectifs actuels.
Une réussite environnementale ?
La mutation du parc automobile ne réduira par ailleurs considérablement les émissions de CO2 des véhicules particuliers qu’à condition que l’électricité soit produite à partir de sources d’énergie propres. En Europe, les émissions varient considérablement d’un pays à l’autre, de 28 g/CO2/kWh dans le centre de la Suède, 72g/CO2/kWh en France, à 469 g/CO2/kWh en Allemagne et jusqu’à 826 g/CO2/kWh en Pologne.
En France, en raison de l’usage du nucléaire et d’autres sources d’énergie sans carbone les émissions liées aux véhicules électriques sont ainsi largement plus faibles que celles des thermiques. Néanmoins, pour le segment populaire des petites voitures, la subvention à l’achat, la taxe sur l’électricité inférieure à celle de l’essence ou du gazole et les émissions de CO2 plus élevées produites par la fabrication des batteries conduisent à un coût final de 300€/t d’émissions de CO2 gagnés par rapport à un moteur thermique équivalent. Ce montant est bien plus élevé que le coût social du carbone par tonne recommandé officiellement dans le rapport Quinet. Il ne tient de plus pas compte de l’évolution des polluants autres que le CO2 produits par la fabrication des batteries, la construction du véhicule et par le recyclage de leurs composants en fin de vie.
En Pologne en revanche, les émissions de CO2 d’un véhicule électrique sont actuellement similaires à celles d’un véhicule thermique comparable, sans même tenir compte des émissions liées à la fabrication et au recyclage des batteries.
André de Palma, Professeur émérite en Économie, CY Cergy Paris Université; Robin Lindsey, CN Chair in Transportation and International Logistics, University of British Columbia et Yannik Riou, Chercheur Associé en Economie, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.