Les saucisses cuisent et la bière est fraîche – enfin prêts pour le parfait barbecue de fin d’été. Dîner en plein air, verre en terrasse, glaces – nous saisissons les derniers instants de la belle saison, des moments précieux avec les proches avant un hiver incertain de reconfinements locaux ou réunions Zoom.

Puis, une visiteuse imprévue arrive. Vêtue d’une robe voyante, la taille fine, l’indésirable déborde de confiance. Elle est arrogante, s’octroie le droit de boire à tous les verres et on peut s’effrayer de trouver un dard aiguisé dans son derrière rayé.

La fin de l’été est la saison des guêpes – ces insectes attisent les rancœurs et les cris dans les jardins et aux terrasses de café. C’est le cas chaque année, mais c’est particulièrement insupportable alors que nous comptons les quelques jours qu’il nous reste pour profiter du beau temps en respectant les consignes de distanciation sociale.

Vue aérienne d’un pique-nique dans un parc.
Le terrain de jeu des guêpes en congé forcé. JaySi/Shutterstock

Il est difficile de trouver des côtés positifs à un monde en proie à une pandémie. Mais ces derniers mois ont remis au goût du jour un mot bien utile pour expliquer le comportement antisocial des guêpes à la fin de l’été : les congés forcés. Et pour quelqu’un qui passe son temps à faire des recherches sur les guêpes, trouver une expression pour excuser leur mauvais comportement est assez excitant. Si vous êtes l’une des nombreuses personnes au chômage partiel en ce moment, vous êtes particulièrement bien placé pour comprendre les guêpes de fin d’été.

Guêpes ouvrières

Les guêpes ont tendance à ne perturber notre vie en plein air qu’à la fin de l’été, contrairement aux apparences. Tout le reste de l’été, elles sont aussi très occupées, mais nous ne sommes pas assez intéressants pour qu’elles daignent nous regarder. Il est très probable que la guêpe que vous avez écrasée à votre barbecue le week-end dernier a passé l’été à enlever les chenilles de votre potager ou les pucerons de vos tomates.

Cette guêpe faisait partie de l’équipe de dame nature chargée de la lutte contre les parasites : sans les guêpes, nous devrions utiliser beaucoup plus de pesticides pour garder nos laitues entières et les tomates exemptes de pucerons. Les guêpes nous rendent service – ce sont des ennemies naturelles d’autres insectes, encore plus nuisibles.

Pour cette guêpe travailleuse, au milieu de l’été, nos boissons sucrées n’avaient aucun intérêt, car elle voulait des protéines. C’est une chasseuse, une travailleuse. Au milieu de l’été, son but est de fournir des protéines à ses petits frères et sœurs, les larves du « couvain ». Elle est l’un des rouages stériles d’un superorganisme, poussée par l’évolution à transmettre ses gènes en élevant les larves. Habituellement, elle chasse d’autres insectes pour leurs protéines, comme des chenilles de jardin ou des mouches. Elle apporte des proies à la colonie où il y a des milliers de larves, des petits frères et sœurs à nourrir.

Elle peut mâcher un peu la proie, voire, peut-être, en ingérer un peu, avant de la donner directement à une larve, mais la majeure partie de la protéine va aux petits. En échange de son travail, la larve lui donnera une sécrétion sucrée riche en glucides. On pense actuellement que c’est là le principal mode de nutrition des guêpes ouvrières adultes. Chaque colonie produit plusieurs milliers de guêpes ouvrières et elles sont très occupées pendant une grande partie de l’été à nourrir leur couvain ; elles seraient comme « accros » aux sécrétions sucrées de leur fratrie larvaire.

Congé forcé

Au cours de l’été, la colonie se transforme en une citadelle pouvant compter jusqu’à 10 000 travailleurs ; parallèlement à cette croissance du nombre de travailleurs, les larves commencent à se transformer en insectes. Lorsqu’une larve est complètement nourrie, à l’âge de deux semaines environ, elle est prête à se métamorphoser en une belle guêpe adulte. Elle ferme elle-même l’alvéole dans laquelle elle loge pour poursuivre son développement pupal et elle n’a plus besoin des soins de ses aînées.

Tous les couvains ne se métamorphosent pas en une seule fois ; il reste encore de nombreuses larves à nourrir. Mais la proportion entre le nombre d’ouvrières et celui de larves change, et à mesure que l’été avance vers l’automne, il y a de plus en plus d’ouvrières sous-employées et – ce qui est important – elles ne reçoivent plus la dose de sucre administrée par leurs frères et sœurs. Les ouvrières sont, en effet, mises à pied. Et comme les humains mis à pied, leur comportement change.

Maintenant, elles cherchent du sucre loin de la colonie – lors de nos pique-niques par exemple. En l’absence de ces festins sucrés faciles, elles rendent visite aux fleurs et les pollinisent, tout comme les abeilles. En fait, les guêpes peuvent être aussi efficaces à la pollinisation que certaines abeilles. En termes d’évolution, votre pique-nique est une distraction relativement nouvelle.

Une guêpe s’assoit sur des fleurs blanches.
Un guêpe pollinise. Paul Reeves Photography/Shutterstock

De tels changements de comportement surviennent en réponse aux besoins de leur société ; les ouvrières perçoivent les exigences changeantes et modifient la façon dont les gènes sont exprimés dans leur cerveau. On trouve dans le cerveau des guêpes quelques indices sur l’évolution des comportements d’aide et sur les mécanismes moléculaires qui les sous-tendent.

Dans le cerveau des guêpes

Mon équipe fait des recherches sur les mécanismes moléculaires qui sous-tendent le comportement de ces guêpes afin de comprendre comment et pourquoi leurs traits sociaux évoluent. Les guêpes ouvrières que vous voyez à votre pique-nique font partie d’un des produits biologiques de l’évolution les plus complexes que l’on trouve dans le monde naturel : une colonie dite « superorganisme ».

Tout comme une ruche d’abeilles, chaque colonie est dirigée par une seule reine mère qui pond tous les œufs ; ses jeunes en début de saison sont les ouvrières stériles qui aident à élever plus de couvains et éventuellement les mâles et femelles fertiles – les reines de l’année suivante. La reine, les ouvrières et les individus fertiles ont tous un aspect et un comportement très différents, à tel point que vous risquez de les confondre avec des espèces différentes. Ils dépendent les uns des autres en tant que différentes composantes de cette grande « machine », ce superorganisme. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’elles sont toutes produites à partir des mêmes éléments constitutifs – elles ont un génome commun. Mais leurs gènes s’expriment différemment.

Comprendre comment les génomes évoluent pour produire les composantes si différentes, mais si bien articulées d’un superorganisme reste l’une des grandes questions en suspens de la biologie de l’évolution. Cette guêpe à votre pique-nique est un produit hautement perfectionné de l’évolution qui joue un rôle important dans une société qui dépasse la nôtre en termes de complexité et de coordination.

Personne n’aime que son pique-nique soit infesté de guêpes, mais avec une certaine compréhension de la biologie qui sous-tend leur comportement, chacun peut s’adapter pour les respecter. La pandémie a forcé des changements dans notre propre comportement et nous nous sommes adaptés. S’il y a un point positif dans les défis auxquels nous sommes confrontés actuellement, c’est peut-être que nous pouvons faire preuve d’un peu plus d’empathie envers ces insectes incompris, mais importants.

Seirian Sumner, Professor of Behavioural Ecology, UCL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Fermer la popup
?>