Les jeunes sont-ils moins prompts à avoir des crush et à succomber au coup de foudre par rapport aux générations précédentes ? Des études sociologiques révèlent une plus grande prudence pour se déclarer amoureux et s’engager aujourd’hui
« C’est devenu moins confortable et plus complexe de tomber amoureux de nos jours » pose sans ambiguïté le sociologue Christophe Giraud, auteur de l’ouvrage « L’amour réaliste » (1) et maître de conférences à l’Université Paris Descartes.
Ayant mené une étude sur les jeunes femmes, ce spécialiste des liens conjugaux et de la formation des couples constate que le coup de foudre, le fameux crush est mis en doute par les jeunes générations qui ont pris une forme de distance avec le modèle amoureux romantique. « Tout est vécu de façon plus prudente et progressive. Ce que j’appelle l’amour réaliste. Ce n’est pas pour autant du cynisme. Il y a chez ces jeunes toujours un idéal d’amour, mais désormais on se teste, on prend le temps… Cela demande plus de réflexion, plus de travail et complexifie la relation amoureuse. »
Une liberté qui rend plus perplexe
En cause : une grande liberté de choix offerte aux individus. Bien du chemin a été parcouru depuis le XIXe siècle et les mariages arrangés qui constituaient avant tout des contrats financiers. « C’est seulement à partir du XXe siècle, après la Première Guerre mondiale que le modèle de couple d’amour, où chacun se choisit librement, s’est imposé dans la population. Il est devenu peu à peu le mode dominant jusqu’à un point aujourd’hui culminant avec désormais une acceptation sociale dépassant les modèles d’hétérosexualité. Mais aussi une acceptation des rapports sexuels sans engagement sentimental, tant pour les garçons que les filles », analyse Christophe Giraud.
Cette grande liberté multiplie dès lors les scénarii et les choix possibles et ouvre indirectement la porte à de multiples doutes : Que veut celui ou celle qui nous plaît ? Une relation rapide d’un soir ou plus durable et engagée ? Sur quelles bases d’entente se rencontre-t-on ? Quels sont mes propres envies et sentiments ? « Cette incertitude est entretenue si les rencontres se font sur des applications telles que Tinder, qui a vocation à susciter des rencontres courtes, fondées sur des envies de sexualité rapide, mais qui se transforment parfois en lieu d’échanges, assez longs, à l’ancienne, pour apprendre à se connaître. Rien n’est figé, ni clair. »
Une plus grande expérience et égalité entre les sexes
Autre changement majeur par rapport au passé : les femmes désormais sont sur un pied d’égalité avec les garçons sur les questions d’expériences amoureuses. Si on remonte aux année 1930, c’était les hommes seuls qui étaient porteurs d’une expérience. « Aujourd’hui, les femmes ne sont plus des « oies blanches » et sont parfois même plus expérimentées que les garçons. Cela permet aux jeunes des relations plus égalitaires et intéressantes. Mais, de par ce passé amoureux, parfois douloureux et marqué de ruptures, les femmes ont aussi pris une forme de distance par rapport au modèle amoureux romantique. S’il reste important, chez les filles, pour le premier rapport sexuel, il est remis en cause par la suite. Elles acceptent mieux une forme de légèreté, ce qui génère de la prudence et remet en cause le coup de foudre », explique le sociologue.
Moins de conformisme et plus d’authenticité
Le fait même que les jeunes aujourd’hui mettent plus de temps à cohabiter lorsqu’ils sont en couple illustre cette prudence. « Dans les années 70, si on s’aimait, automatiquement on habitait ensemble. Le scénario était écrit, c’était plus simple et plus rapide. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. De même, le mariage n’est plus la porte d’entrée d’une sexualité conjugale mais il vient couronner une longue construction de couple », précise Christophe Giraud.
Les jeunes seraient aussi moins enclins à sacrifier leurs aspirations professionnelles, leurs loisirs ou cercles d’amis pour une relation amoureuse. Pour Christophe Giraud, « ils ont conscience que cette relation amoureuse peut être fragile, et de façon plus égoïste, mais aussi plus réaliste, ils cherchent à raison à se protéger ».
Tout est donc basé plus que sur un conformisme, sur une exigence d’authenticité, de véritables envies, ce qui se traduirait par une plus grande défiance à tomber amoureux. Mais aussi à confier ses sentiments, à faire des promesses et à s’engager.
(1) « L’amour réaliste, La nouvelle expérience amoureuse des jeunes femmes« , Christophe Giraud, Armand Colin, 2017. Voir ici
Marianne Peyri