Si on ne peut plus faire de châteaux de sable, autant en bâtir en Espagne… Sauf qu’il faut aussi du sable, et beaucoup : 200 tonnes pour une maison, 30 000 tonnes pour 1 kilomètre d’autoroute et 12 millions pour une centrale nucléaire. Alors, un château…
Le secteur du bâtiment consomme annuellement 83 millions de tonnes de sable rien qu’en France, et les travaux publics en engloutissent 300 millions de tonnes. Principal ingrédient entrant dans la fabrication du béton, le sable est partout : dans le verre, dans les puces électroniques, les écrans tactiles, le dentifrice, pour le délavage artificiel des jeans… et pour tous ces usages, inutile de compter sur le sable des déserts, qui ne s’amalgame pas, à cause de sa structure ronde et non irrégulière.
Autant dire que le sable marin est la troisième ressource la plus utilisée après l’air et l’eau. Et que, dans certains pays, les plages ont régressé, voire disparu, sous l’effet d’une surexploitation : entre 5 et 15 milliards de tonnes sont extraites chaque année dans le monde.
Ce n’est pas le cas en France, puisque le sable est extrait des gravières ou importé. Ni d’ailleurs en Europe : ici, il est interdit d’extraire du sable des plages. Pour autant, elles s’amaigrissent, selon le vocabulaire du géologue.
Et c’est dû essentiellement à des causes naturelles, amplifiées par l’activité humaine. Même sans extraction, légale ou pas, c’est le cas presque partout dans le monde.
Venu des montagnes
Pour savoir pourquoi le sable disparaît il faut comprendre d’où il vient. Il est arrivé des montagnes lorsque les grands glaciers ont fondu en arasant les roches lors de la dernière déglaciation, il y a 15 000 ans. Dans le même temps, ce sable transporté par les cours d’eau jusqu’à l’océan était poussé vers le rivage par la mer dont le niveau a monté d’une centaine de mètres à cette époque.
Il y a 5 à 6 000 ans, lorsque ce phénomène s’est arrêté, on avait les plus grandes plages dont on pouvait rêver.
Depuis, ça diminue. Au mieux, ça se stabilise parce les seuls apports de sable sont ceux provenant de l’érosion des falaises. Les cours d’eau continuent d’en apporter, mais presque plus, parce que les glaciers ont fondu. Et les fleuves sont désormais canalisés et couturés de barrages qui retiennent les sédiments.
À ces apports presque nuls s’ajoute l’effet de la houle, qui semble s’accroître depuis quelques années. Selon Claude Augris, géologue à l’Ifremer, « il faut voir l’impact sur plusieurs dizaines d’années ». Il reconnaît que les tempêtes de l’an dernier ont considérablement amoindri les plages, mais « la mer n’emporte pas le sable très loin, tout au plus à 10 ou 20 mètres de profondeur. La houle d’été le ramène en général au bout d’un certain temps. Sauf si on a une succession d’hivers comme celui de l’an dernier. »
Reste que les plages françaises ne sont pas condamnées car elles ont des réserves derrière elles. « Sauf en cas de gros changement climatique », où ces réserves ne seront pas suffisantes. Et là, les châteaux en Espagne seront bâtis sur du sable.
Jean-Luc Eluard