Près de 6 à 7% des étudiants consomment régulièrement du cannabis. Une récente étude menée par l’Inserm, le CHU et l’Université de Bordeaux prend le contrepied d’un préjugé qui voudrait que le cannabis aide à dormir et réduit l’anxiété
C’est la première fois qu’une étude portant sur les effets de la consommation de cannabis sur le sommeil s’intéresse plus spécifiquement aux étudiants. Julien Coelho, médecin du sommeil au CHU de Bordeaux qui a participé à l’étude publiée en 2023 dans Psychiatry Research indique : « Ces jeunes vivent en effet une période charnière particulièrement intéressante : l’apprentissage de l’autonomie, des exigences de performances académiques, du stress lié aux études et ce, alors que leur cerveau n’est pas encore mature. Dans cette population considérée à risques, on trouve de fait plus de consommateurs de cannabis (6 à 7% des étudiants) que dans la population générale (2 à 3%). C’est aussi une population souffrant de troubles du sommeil. Un étudiant sur deux témoigne d’une privation de sommeil et 20% d’avoir des insomnies plus de 3 fois par semaine. »
Des insomnies deux fois plus fréquentes chez les consommateurs réguliers
L’étude est basée sur la cohorte électronique I-Share de près de 20 000 étudiants de 18 à 30 ans et des données recueillies depuis 2013. Elle s’est aussi attachée, pour la première fois, à évaluer l’impact de la consommation de cannabis sur le sommeil en intégrant d’autres facteurs tels que la santé mentale, les habitudes de vie, le niveau économique, etc.
Les résultats sont sans ambiguïté. « Les risques de sommeil perturbé sont doublés chez ceux qui consomment quotidiennement, tous les jours, du cannabis, soit 2 à 3% de la population. Plus la consommation augmente, plus le sommeil est perturbé », révèle Julien Coelho. La probabilité qu’ils souffrent d’insomnie serait ainsi supérieure de 45% par rapport à ceux qui ne consomment pas de cannabis.
Des dégradations du sommeil sont également constatées chez ceux prenant du cannabis une fois par semaine. « Il y a un effet de seuil à partir d’une consommation hebdomadaire, ce qui concerne 6 à 7% des étudiants », ajoute ce spécialiste du sommeil.
Des problèmes de concentration, de mémoire, de risques d’accidents…
Les fumeurs de cannabis n’auraient pas seulement plus d’insomnie, ils témoignent d’une qualité subjective du sommeil dégradée, d’un sentiment de ne pas avoir assez dormi. Ils souffrent aussi de somnolence durant la journée dont les conséquences sont multiples : problèmes de concentration et de mémoire (pourtant cruciaux en période d’études) et une plus grande vulnérabilité face aux risques accidentels. La réussite scolaire peut donc en pâtir.
Le préjugé que le cannabis apaise et endort n’a-t-il dès lors aucun fondement ? « C’est le cas pour une consommation ponctuelle, dite aiguë, qui sur la première nuit va diminuer l’insomnie et aura un effet sédatif dans la journée », reconnaît Julien Coelho. « En revanche, lorsque cette consommation devient régulière, elle détériore la qualité de la nuit. Notre hypothèse est qu’il se crée un phénomène d’accoutumance. Le corps dès lors en situation de sevrage demande plus de cannabis, ce qui génère de l’anxiété qui va perturber le sommeil. Santé mentale et sommeil sont très liés. »
Si la consommation de cannabis est importante, le sentiment d’anxiété est accrue
On retrouve un mécanisme similaire dans la consommation d’alcool. Si celle-ci est ponctuelle, l’endormissement est plus rapide ; si celle-ci est chronique, le sommeil sera détérioré. C’est également vrai sur les questions de recherche de bien-être, le cannabis étant connu comme un anxiolytique. « Si la consommation est régulière, par ce même effet de sevrage, se produira l’effet inverse. L’anxiété sera accrue » alerte Julien Coelho.
Marianne Peyri