L’élite sportive a coutume de dire que la performance repose sur des détails. C’est certes vrai, sur le plan de la préparation, de l’approche et du déroulement de la compétition sportive, mais c’est également vrai, sur la façon pourtant anodine dont les athlètes se tiennent debout immobile. Ceci est beaucoup moins connu non seulement du grand public, mais également de cette élite elle-même…
Le simple fait de rester en équilibre debout immobile sur ses jambes, ce que toute personne saine réalise constamment et facilement sans même y apporter attention, peut en effet cacher de subtils mécanismes physiologiques révélateurs de capacités physiques extraordinaires chez un athlète.
Contrairement à n’importe quel objet, un corps humain n’est jamais parfaitement immobile, car il oscille en permanence à cause, en autres, des mouvements respiratoires et cardiaques. On peut s’en apercevoir, lorsque l’on pratique le tir ou quand on observe quelque chose avec des jumelles.
Ces oscillations corporelles peuvent être quantifiées en termes de performance dite posturale, à l’aide de différents appareils qui détectent les mouvements microscopiques du moindre segment corporel et/ou du corps entier et de tests où l’on demande à une personne de rester le plus immobile possible en appui sur ses deux pieds. Dans cette condition posturale stable, plus l’amplitude et la vitesse de ces oscillations sont faibles, meilleure est la performance posturale de l’individu.
Nous avons remarqué au sein de notre laboratoire qu’il existe, chez les sportifs, une relation entre leur niveau de performance posturale et leur niveau de performance sportive (ou leur niveau de compétition).
Cela demeure strictement indécelable à l’œil nu, mais les sportifs du niveau de compétition le plus élevé présentent de moindres oscillations corporelles que les sportifs de niveau inférieur. Nous avons en effet observé que les footballeurs professionnels oscillent systématiquement moins que les joueurs amateurs de niveau régional.
Les sportifs de haut niveau sont capables de sélectionner (et de commuter) les sources d’informations
La fonction physiologique qui contrôle ces oscillations corporelles peut être caractérisée en 3 grandes composantes : prise d’informations, analyse-décision et exécution motrice. Les informations relèvent de capteurs qui prélèvent des signaux émanant de l’environnement (scènes visuelles) et des changements au sein de l’organisme (longueur des muscles et tendons, mouvement des articulations, accélération de la tête, friction cutanée). Il s’agit des différents canaux d’informations.
Les décisions peuvent être conscientes et inconscientes et relèvent du système nerveux central qui commande et contrôle les exécutions motrices lesquelles sont principalement assurées par les muscles extenseurs de la tête, du tronc et des membres.
Les études scientifiques montrent que les différentes structures sur lesquelles reposent les prises d’informations, les décisions et les exécutions motrices des sportifs de haut niveau présentent une fonctionnalité supérieure à celles des autres athlètes.
Par exemple, les informations choisies sont mieux ciblées et plus précises, le temps de traitement des informations et de décision est plus court, la réponse motrice est mieux coordonnée et plus juste. En somme, la régulation de la posture et de l’équilibre est plus précise et économique, quelle que soit la situation motrice.
Par ailleurs, plus le niveau sportif d’un athlète est élevé plus il est capable de hiérarchiser des informations et de changer d’un canal d’information privilégié à un autre.
Ce phénomène est très intéressant dans des situations où les informations sont nombreuses et en perpétuelle évolution au cours d’un jeu ou d’un match.
Très souvent, l’athlète du niveau sportif le plus élevé demeure moins dépendant des informations visuelles pour maintenir une posture et contrôler son équilibre et accorde davantage de poids aux autres informations (les autres canaux d’informations tels que, par exemple, le canal relié à l’oreille interne qui détecte les positions et accélérations de la tête dans l’espace, le canal proprioceptif qui détecte les changements de longueur des muscles et d’ouverture des articulations significatifs de mouvements segmentaires).
Ceci lui permet de consacrer davantage de ressources visuelles au traitement des informations essentielles relevant de la pratique sportive elle-même. Si un footballeur sollicite moins sa vision pour réguler sa posture et son équilibre,ceci épargne ses ressources visuelles pour analyser les informations émanant directement du jeu et prendre ainsi les bonnes décisions (et plus rapidement).
Des spécificités individuelles et environnementales
Toutefois, la contribution des informations visuelles demeure individu-dépendant y compris chez des sportifs de niveau national, même si c’est plus rare que pour des sportifs de niveaux inférieurs. Lors d’un protocole expérimental avec des footballeurs professionnels, nous avons en effet été confrontés à un athlète de niveau national (défenseur central, 1,85 m pour 85 kg) qui était totalement incapable, à notre grande surprise, de rester en équilibre sur une jambe avec les yeux fermés (perte d’équilibre quasi instantanée). Cet athlète malgré son niveau sportif élevé, était en effet fortement dépendant aux informations visuelles dans cette situation pourtant largement accessible et réalisable même pour des sportifs de niveau de compétition nettement inférieur.
La fonction physiologique qui contrôle les oscillations corporelles est tellement sensible que celles-ci peuvent significativement varier selon le contexte pour un même individu. Effectivement, quel que soit l’individu, les oscillations corporelles peuvent être majorées ou minorées selon son état physiologique et psychologique (frais ou fatigué, relaxé ou stressé, échauffé ou non échauffé, etc.), sa morphologie (petit ou grand, lourd ou léger, etc.), l’environnement dans lequel il se trouve (parfaitement éclairé ou dans l’obscurité, avec ou sans bruit, hyperbare ou hypobare, scène visuelle fixe ou changeante, etc.) et son expérience motrice ou sportive (faible, importante, élevée, etc.).
Sur le plan physiologique et psychologique, par rapport à l’état frais et relaxé, un individu oscille davantage s’il est fatigué, même temporairement, ou s’il est stressé, mais il oscille en revanche moins s’il a bénéficié d’un échauffement au préalable.
Sur le plan morphologique, les individus de petite taille ou de faibles masses corporelles sont avantagés par rapport aux individus de grandes tailles ou masses corporelles importantes.
Sur le plan environnemental, l’obscurité, le bruit assourdissant, l’altitude, les scènes visuelles changeantes et autres conditions accentuent les oscillations corporelles tandis qu’un lieu bien éclairé, sans bruit ou avec une musique agréable (encore plus favorable) situé à faible altitude, avec une scène visuelle fixe réduit les oscillations corporelles.
Sur le plan de l’expérience sportive ou motrice, les individus inactifs ou sédentaires oscillent en principe davantage que les individus actifs ou très entraînés. L’activité physique régulière améliore les différentes composantes de la fonction physiologique qui contrôle l’équilibre, y compris chez des personnes fragiles ou âgées. Ceci signifie que l’activité physique est non seulement favorable à un meilleur contrôle de la posture et de l’équilibre, mais également à la réduction du risque de chute chez ce type de personnes. Par ailleurs, en améliorant le contrôle de l’équilibre chez des sportifs, on diminue également leur risque de blessure au cours de la pratique sportive.
D’une manière générale, les sportifs du niveau de compétition le plus élevé exploitent mieux les conditions favorables et compensent également mieux les conditions défavorables que les sportifs du niveau le plus faible dans une tâche de contrôle de l’équilibre corporel. Cependant, pour juger le plus objectivement possible la performance posturale d’un individu à un moment donné, il convient d’intégrer son état physiologique et psychologique, sa morphologie, l’environnement de la mesure et son niveau d’entraînement.
Thierry Paillard, Neurophysiologiste, Université de Pau et des pays de l’Adour (UPPA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.