Depuis le printemps, les ménages et les entreprises font face à une hausse inédite de leurs factures en électricité, gaz et carburant. Pourtant, en France les tarifs sont réglementés. Comment sont-ils calculés ? Décryptage avec Lamis Aljounaidi, économiste de l’énergie, ingénieure et directrice de Paris Infrastructure Advisory, une société de conseil dédiée à la transition bas carbone

Reprise économique et industrielle suite à la sortie de crise économique due au Covid-19, guerre en Ukraine, centrales nucléaires à l’arrêt en France (29 réacteurs sur 56), production hydraulique amputée en raison de la sécheresse… Une accumulation de facteurs a abouti à l’explosion du prix de l’électricité.

Le montant du prix de gros de l’électricité en France a atteint, fin août, 1000 euros le mégawattheure (MWh), soit près de douze fois plus qu’un an plus tôt. Or le prix du gaz est indexé sur celui de l’électricité… Face à cette flambée dévastatrice pour les revenus des ménages et l’économie nationale, le gouvernement français a annoncé que le bouclier tarifaire pour l’électricité (et le gaz) serait maintenu en 2023.

Comment le prix de ces énergies est-il établi ? Le calcul se révèle compliqué et multifactoriel.

Coût de l’approvisionnement, de l’acheminement, du stockage, des taxes…

« La facture d’électricité se compose de trois parts majeures, explique Lamis Aljounaidi, économiste de l’énergie : le coût de fourniture, qui correspond à la production et l’approvisionnement en électricité soit environ 33 % du prix final de la facture ; le coût d’acheminement du réseau de l’électricité ou TURPE (tarif d’utilisation du réseau public d’électricité), qui équivaut à 33 % également ; et les taxes* (TICFE, CTA, TICFE et la TVA), soit 34 à 36 % de la facture. La facture du gaz est également composée de différentes parts : la fourniture et la distribution, qui correspondent à 29 % du prix final chacune ; le transport et le stockage qui constituent 8 et 4 % du coût final respectivement ; et enfin les taxes, composées de la TVA (13%), de la TICGN (taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, 13 %) et de la CTA (4 %). La part des taxes dans le prix de l’électricité et du gaz a beaucoup augmenté ces dernières années. Toutefois, grâce aux tarifs réglementés de vente** (TRV) de ces deux énergies, définis par l’État en accord avec EDF (Électricité de France) et Engie, les prix n’ont pas pour autant démesurément explosés chez ces fournisseurs historiques d’électricité et de gaz, indique la spécialiste. » En tout cas, pour les ménages qui bénéficient du TRV, soit environ 23 millions de foyers.

Des systèmes électriques et lignes de gaz vieillissants

Mais ces prix augmentent régulièrement, notamment car « nos systèmes électriques (centrales nucléaires) et lignes de gaz sont vieillissants, il faut les renouveler, indique Lamis Aljounaidi. Or, les coûts de construction d’aujourd’hui sont supérieurs à ceux des années 70. Le gaz, lui, augmente essentiellement en raison des difficultés d’approvisionnement et des moyens techniques pour l’acheminer, le stocker et le transporter : le gaz naturel liquéfié arrive par bateau dans des ports méthaniers, le gaz sous pression est acheminé sur des grandes distances par pipelines (gazoducs). Arrivés en France, il faut les stocker et les transporter. »

Par ailleurs, le marché de gros européen tient compte du mix électrique européen, pas du français. La part du gaz y est bien plus importante (20 %). Du fait du système de tarification marginale, le gaz, dont les tarifs explosent à cause de l’invasion russe en Ukraine, entraîne les prix de l’électricité à la hausse.

A noter que les prix des quotas de CO2 (qui ont récemment été augmentés) sont également pris en compte dans l’équation.

Une remise sur les prix des carburants

Quant aux carburants, plusieurs éléments composent leurs prix affichés dans les stations-services : le coût du pétrole brut (variable car soumis à la loi de l’offre et la demande) ; le coût de production, d’acheminement ; le coût de fonctionnement et marges réalisées par le distributeur ; les taxes spécifiques auxquelles sont soumis les carburants. Ces dernières sont : la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la TVA, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

En France, les taxes comptent approximativement pour 60 % des prix de l’essence et du gazole à la pompe. Le prix des carburants augmente lui aussi et a dépassé les 2 euros le litre cet été à la pompe. Depuis le mois d’avril 2022, les Français bénéficient d’une aide gouvernementale qui est passée de 18 centimes d’euro à 30 centimes d’euro par litre jusqu’au 31 octobre avant de baisser à 10 centimes d’euro par litre du 1er novembre jusqu’au 31 décembre.  

Le retour de la chasse au gaspillage

On l’aura compris, la flambée des prix qui touchent l’ensemble des sources d’énergie (et de l’économie) n’est pas uniquement due à des taxes élevées, mais aussi liée à des difficultés d’approvisionnement. Ces hausses des tarifs ne sont pas propres à la France, mais sont valables pour les autres pays européens et pourraient mener à la précarité énergétique de bon nombre de ménages.

Pour l’éviter, les dirigeants des trois énergéticiens français TotalEnergies, EDF et Engie ont invité la population à limiter ses consommations énergétiques. Dans une tribune (critiquée par certains) publiée fin juin dans le Journal du Dimanche (JDD), ils appellent à « une prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d’entre nous – consommateurs et entreprises – change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers ». « La meilleure énergie reste celle que nous ne consommons pas », ont-ils rappelé. « Nous ne pouvons qu’encourager les Français à améliorer l’isolation de leur logement, faire installer un poêle à bois, des panneaux photovoltaïques sur leur toit ou se déplacer à vélo, souligne Lamis Aljounaidi. Le retour sur investissement est assuré. » Et la planète nous en remerciera.

Florence Heimburger

*Taxes : la TICFE, taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité ; la CTA (contribution tarifaire d’acheminement) ; la TCFE, taxe sur la consommation finale d’électricité ; la TVA, taxe sur la valeur ajoutée.

** Les TRV sont des prix de l’énergie établis par les pouvoirs publics, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ils ont été créés dans un contexte d’après-guerre avec une volonté d’accès égalitaire à l’électricité et au gaz.

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