Par ses règles de grammaire, son fonctionnement ou ce qu’elle induit comme représentation mentale, la langue française est accusée de sexisme. La féminisation de la langue est ainsi devenue un des principaux combats des mouvements pour l’égalité des sexes. Démêlons le vrai du faux
« Le masculin l’emporte sur le féminin ». Depuis plus d’un siècle, les écolières et écoliers français ont intégré cette règle grammaticale par cœur. Elle est la première visée quand la langue française est accusée d’être sexiste. En 1767, l’académicien français Nicolas Beauzée enfonce le clou lorsqu’il explique cette règle en affirmant « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. ». Il faut attendre 1936, et Le Bon Usage du grammairien Maurice Grévisse pour trouver une explication moins machiste. Il explique ainsi que « le masculin singulier est, pour les adjectifs (ainsi que pour les noms et les pronoms), la forme indifférenciée, neutralisée, comme l’infinitif pour le verbe. »
Remplacer la règle par une ancienne règle
Si la règle de l’accord au masculin a été retenue, une autre règle a perduré en français jusqu’au XVIIIe siècle et existait en grec ancien et en latin : la règle de proximité. Selon celle-ci, l’accord se fait avec le sujet le plus proche ou le plus important (en nombre ou en sens). Seulement, comme le précise le sociologue Philippe Cibois, elle était appliquée pour les choses. Pour les personnes, l’accord au masculin était privilégié.
Eliane Viennot : « La langue n’est pas misogyne. Ce sont les gens qui le sont, c’est la société qui est sexiste. Notre langue est absolument équipée pour dire l’égalité ».
La linguiste Eliane Viennot revient sur le fait que la règle de proximité était majoritairement utilisée avant le XVIIe siècle. Pour elle, il faut laisser la liberté aux auteurs d’utiliser la règle de proximité plutôt qu’une « règle inventée au XVIIe siècle », celle de l’accord au masculin. Pour la linguiste, c’est avec l’éducation publique obligatoire, à la fin du XIXe siècle, que la règle de l’accord au masculin s’impose définitivement.
La représentation mentale mise en cause
Au-delà de l’origine et des raisons de l’accord au masculin, le problème est plus dans la représentation mentale que la formulation « le masculin l’emporte sur le féminin » peut induire aux écolières et écoliers. Cette idée renvoie aux thèses du relativisme linguistique et à l’hypothèse de Sapir-Whorf. L’hypothèse soutient que « les langues que nous parlons déterminent notre manière de voir le monde à un point tel qu’elles nous enferment dans des systèmes conceptuels incommensurables ». Le philosophe Mouhamadou El Hady Ba souligne que cette hypothèse est sujette à la critique car elle n’a toujours pas été démontrée ou démentie scientifiquement.
Alors que certains linguistes appellent à faire une distinction entre le genre grammatical et le genre sexuel, des sociologues et anthropologues, eux, restent sensibles à l’hypothèse de Sapir-Whorf. Retenons alors l’affirmation de Eliane Viennot : « La langue n’est pas misogyne. Ce sont les gens qui le sont, c’est la société qui est sexiste. Notre langue est absolument équipée pour dire l’égalité ».
Venance Bertrand-Trouvé