Agriculture - Spraying fertilizer on wheat crop - North Yorkshire - England.

Le plateau de Saclay est un petit territoire périurbain situé à une dizaine de kilomètres au sud de Paris. Malgré son urbanisation croissante, l’agriculture y occupe encore une place importante, avec environ 3 500 hectares. Majoritairement conventionnelle, elle repose sur une utilisation importante d’engrais d’origine synthétique ou minérale. Les cultures principales sont le blé, le colza, le maïs et l’orge, et nécessitent des apports importants d’engrais azotés (N) et phosphatés (P2O5).

Les engrais azotés sont produits via un procédé très gourmand en énergie, de l’ordre de 1 à 2 % de la consommation mondiale. Le phosphore est quant à lui extrait de mines dont les réserves sont limitées. Un pic de production pourrait survenir d’ici quelques décennies.

Une fois consommés par les humains, les nutriments contenus dans les aliments sont majoritairement excrétés via l’urine et se retrouvent dans les eaux usées.

Un recyclage des nutriments très limité

Sur le plateau de Saclay, les eaux usées des quelque 200 000 habitants sont aujourd’hui orientées vers les stations d’épuration du syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP). Les nutriments (du point de vue de l’agriculture) ou polluants (du point de vue de l’assainissement) qu’elles contiennent sont ainsi traités.

Après ajout de réactif, le phosphore précipite à environ 80 % dans les boues d’épuration (le reste est rejeté dans la Seine). À l’inverse, l’azote est majoritairement éliminé par dénitrification (53 %) ou rejeté dans les eaux traitées (38 %), une part minime finissant dans les boues d’épuration (9 %). L’épandage d’une partie de celles-ci en agriculture ne permet donc qu’un recyclage limité du phosphore et surtout de l’azote contenus dans les eaux usées, estimé respectivement à 43 % et 4 % à l’échelle de l’agglomération parisienne.

La gestion actuelle des eaux usées sur le plateau de Saclay ne permet donc pas le recyclage des nutriments alors que l’agriculture du plateau en est une consommatrice importante. Elle est par ailleurs associée à d’autres impacts : importantes émissions de gaz de serre lors du traitement des eaux en station d’épuration, rejet vers la Seine, épandage d’éléments indésirables lors du recyclage des boues d’épuration en agriculture, etc.

L’urine, pour reconnecter la ville et les champs

Parmi les eaux usées, l’urine représente environ 80 % de l’azote et 50 % du phosphore, le tout concentré dans un faible volume comparé au volume global des eaux usées. L’urine est peu contaminée en métaux et pathogènes, contrairement à d’autres intrants comme certains engrais minéraux et les boues d’épuration. Des questions subsistent cependant sur les résidus médicamenteux présents à faible concentration dans l’urine.

Différentes techniques sont possibles pour séparer l’urine à la source et ainsi éviter sa dilution dans les eaux usées et sa contamination par d’autres rejets : toilette à séparation, urinoir sec (masculin ou féminin).

Une fois que l’urine a été séparée des autres composantes des eaux usées, il est possible de réaliser une multitude de traitements pour différents objectifs.

La première option est de stabiliser l’azote afin de diminuer la volatilisation ammoniacale (qui pollue l’air et entraîne une perte de la valeur fertilisante de l’urine) et d’atténuer les odeurs. La seconde possibilité est de réduire le volume épandu, qui varie de celui d’un lisier à celui d’un engrais minéral pour les fertilisants à base d’urine les plus concentrés. Enfin, le troisième traitement consiste à restreindre la contamination en microorganismes pathogènes ou résidus de pharmaceutiques.

Ces différents traitements aboutissent à divers fertilisants à base d’urine ou « urinofertilisants » aux caractéristiques variées (teneurs en nutriments, en contaminants, forme des éléments nutritifs…).

Un territoire privilégié pour l’expérimentation

Depuis plusieurs décennies, le plateau de Saclay fait l’objet d’une urbanisation croissante, mais reste un lieu de production agricole important situé seulement à une dizaine de kilomètres de Paris. Ce contexte dynamique permet la mise en place de dispositifs innovants sur les nouvelles constructions.

Encouragés par les autorités publiques et des associations, plusieurs projets sont actuellement en cours pour l’installation de dispositifs permettant de récupérer l’urine dans des établissements recevant du public. Du fait de l’installation progressive de divers organismes de recherche et d’enseignement supérieur sur le plateau de Saclay, les interactions entre les agriculteurs et la recherche sont également fréquentes.

Par exemple, le programme LEADER du plateau de Saclay finance depuis quelques années une partie des expérimentations sur le recyclage des matières organiques en agriculture menées par l’INRAE et la chambre d’agriculture d’Île-de-France. Les matières étudiées jusqu’à maintenant étaient plus traditionnelles : composts, effluents d’élevage, digestats de méthanisation, etc.

Une bonne efficacité fertilisante

L’intérêt des agriculteurs pour le recyclage de l’urine a été étudié à travers plusieurs enquêtes. Cette pratique, même si elle est peu connue, est globalement accueillie positivement. Mais les agriculteurs ont pointé des besoins d’expérimentation sur ces nouveaux produits, tant sur leur valeur fertilisante que sur leur contamination en résidus médicamenteux.

Afin de répondre pour partie à cet intérêt des agriculteurs et étudier plus en détail les différents urinofertilisants envisageables, des essais agronomiques ont été mis en place sur le plateau de Saclay dans le cadre du projet de recherche AGROCAPI (INRAE, AgroParisTech, École des Ponts). L’efficacité fertilisante de ces traitements a été testée sur différentes cultures (blé, colza et maïs grain) depuis deux ans.

Selon les résultats, elle est proche des engrais minéraux et supérieure à des engrais organiques classiques comme un lisier bovin. Un kilogramme d’azote contenu dans un urinofertilisant a le même effet qu’un kilogramme d’azote d’engrais minéral, à la différence de l’azote des engrais organiques (lisiers) dont l’efficacité est moindre à court terme. En complément à l’étude de la valeur fertilisante, les émissions de gaz à effet de serre, la volatilisation ammoniacale et les résidus médicamenteux sont en cours d’analyse.

Il reste encore du chemin avant de généraliser le recyclage de l’azote et du phosphore sur le plateau. Cet automne cependant, du pain a été produit avec le blé récolté sur les parcelles fertilisées avec de l’urine.

Sur le plateau de Saclay, l’urine des habitants représenterait près du double des besoins des agriculteurs en fertilisant. Le cas de l’agglomération parisienne est particulièrement pertinent, car elle regroupe plus de 10 millions de personnes et est entourée de plaines céréalières très demandeuses en fertilisants. Les besoins en engrais minéraux de l’Ile-de-France pourraient être couverts avec l’urine de l’agglomération parisienne.The Conversation

Florent Levavasseur, Ingénieur de recherche, Inrae et Tristan Martin, Doctorant en agronomie, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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