Grâce à leur atmosphère sans pareil, les forêts occupent une place particulière dans de nombreuses cultures humaines. Telles celle de Brocéliande, elles participent à la construction de contes et légendes : on y trouverait des sorcières, des elfes, des lutins et des korrigans…
Mais au-delà des mythes qu’elles véhiculent, elles jouent un rôle extrêmement important dans l’atténuation du changement climatique et sont témoins de la perte de biodiversité, deux défis majeurs auxquels nous sommes confrontés actuellement.
Leur apport en termes de biodiversité et leur capacité à absorber le CO2 de notre atmosphère sont considérables.
Il existe un débat sur l’importance de la contribution des arbres et des forêts à la séquestration du CO2. Une première estimation chiffre à 205 gigatonnes de carbone (GtC) l’absorption de CO2 des arbres à l’échelle mondiale chaque année. Cette estimation a été jugée trop optimiste et revue à la baisse, à 42 GtC.
Étant donné qu’il s’agit d’estimations modélisées et que les modèles sont accompagnés d’hypothèses, ces corrections ne sont pas inhabituelles. La valeur réelle pourrait se situer entre les valeurs déclarées.
Ces 42 GtC représentent quatre fois les émissions annuelles de combustibles fossiles (10 GtC/an), mais seulement une petite fraction des 660 GtC des émissions anthropiques historiques totales.
Il n’en demeure pas moins que les forêts de la planète ont un rôle important à jouer dans l’atténuation du changement climatique.
7 500 espèces d’oiseaux
Mais qu’est-ce qu’une forêt ? Vous serez sans doute d’accord pour dire que c’est un écosystème dominé par les arbres. Nous pouvons distinguer trois grands types de forêts : les boréales, les tempérées et les tropicales.
La caractéristique la plus remarquable d’une forêt est la densité des arbres et la variabilité de leur hauteur. C’est ce qui permet à ces écosystèmes de loger près de 7 500 espèces d’oiseaux (75 % de tous les oiseaux), 5 000 espèces d’amphibiens (80 % de toutes les espèces connues), et plus de 3 700 mammifères (68 % de toutes les espèces de mammifères).
C’est ici que l’on comprend pourquoi les forêts jouent un rôle si important pour enrayer la perte de biodiversité.
Celles dites anciennes sont de la plus grande valeur, car elles sont particulièrement riches en espèces.
Les forêts anciennes sont structurellement plus intactes et complexes que les forêts secondaires et pour cette raison fournissent des services écosystémiques supérieurs.
En général, les forêts anciennes abritent plus d’espèces que leurs homologues plus jeunes, qui sont davantage perturbées par les activités humaines et le changement climatique. Dans d’autres cas, les forêts primaires et secondaires peuvent abriter un nombre similaire d’espèces, mais les forêts anciennes abritent des espèces plus rares, spécialement adaptées à ces écosystèmes.
Vie grouillante
Alors que les forêts peuvent sembler immuables, elles sont dynamiques. Une vie grouillante mais invisible pour un œil non-averti s’y niche. Des milliards de microbes décomposent les plantes et les animaux morts, mettant ainsi les nutriments à la disposition d’autres organismes.
Les pollinisateurs et les disperseurs de graines (insectes, mammifères, oiseaux) aident les arbres à se reproduire en déplaçant le pollen entre les arbres stationnaires et les graines dans des interstices où elles ont plus de chances de survivre.
Les organismes absorbent, transforment et transportent les nutriments. Le vent disperse le pollen, fertilisant les plans et les arbres à plusieurs kilomètres de distance. Dans les forêts anciennes, ces innombrables processus écologiques sont intacts et fournissent des services essentiels aux humains.
En ce qui concerne le changement climatique, les arbres constituent une des meilleures unités de stockage du carbone qui soient. Au cours de la photosynthèse, ils absorbent du CO2 pour se nourrir et se développer, libérant ainsi de l’oxygène (et une petite fraction de CO2).
Une grande partie du carbone stocké dans les écosystèmes terrestres se trouve ainsi dans les forêts. À mesure que les forêts vieillissent, les plantes poussent, meurent et se décomposent, de sorte que les forêts anciennes sont davantage emplies de matière végétale stockant le carbone dans leur sol que les forêts secondaires.
Les forêts anciennes peuvent contenir 30 à 70 % de carbone de plus que les forêts dégradées d’une taille similaires, ce qui les rend essentielles dans la lutte contre la crise climatique.
Les forêts souffrent
Comme tous les écosystèmes et espèces, les forêts souffrent. Elles souffrent du stress hydrique, elles souffrent des dégradations, elles souffrent de l’exploitation, de la pollution et des conditions changeantes auxquelles elles sont trop lentes à s’adapter. Sans compter les dommages causés par les espèces nuisibles.
La pollution par l’azote constitue une redoutable menace. Issue de l’agriculture et de l’élevage intensifs, des centrales électriques, du trafic routier et d’autres sources, elle n’a cessé d’augmenter depuis qu’on a commencé à la mesurer en 1950.
Le dépôt d’azote rend les sols plus fertiles et cette sur-fertilisation perturbe les symbioses fongiques avec les racines des arbres, car l’augmentation des concentrations atmosphériques d’azote entraîne le déclin des champignons ectomycorhiziens.
Cette perturbation, couplée à des températures plus élevées, permet aux arbres de pousser plus vite, mais en raison de l’absence d’une symbiose fonctionnelle avec les champignons des racines, leur bois est de moindre qualité.
À l’échelle mondiale, on estime qu’il reste 1,11 milliard d’hectares (11 millions de km2) de forêts anciennes (36 % de toutes les forêts), soit à peu près la taille de l’Europe. Environ 70 % de ces forêts anciennes sont réparties entre le Brésil, le Canada et la Russie, où l’être humain décime continuellement les parties non protégées de ces merveilleux écosystèmes.
Arbres géants de la vallée du Marcadau
En Europe, il ne reste que quelques hectares de forêts anciennes, dont la plupart se trouvent dans des zones de montagne difficiles d’accès. Ces difficultés d’accès ont permis de sauver ces zones de l’exploitation forestière dans le passé.
Les forêts de montagne revêtent donc une importance particulière pour la conservation de zones intactes et riches en espèces. Par exemple, dans les Pyrénées françaises, dans la vallée de Marcadau (Parc National des Pyrénées), on peut observer des arbres géants qui peuvent avoir jusqu’à 500 ans (Photos).
Dans une zone des Pyrénées ariégeoises, qui a désormais le statut de Réserve biologique intégrale (RBI), on trouve des arbres âgés de 150 à 200 ans. Une forêt finalement plutôt jeune et pourtant une des plus vieilles forêts que nous ayons encore en France.
Dans une RBI, il n’y a aucune activité humaine, c’est donc un site strictement protégé, ce qui est quelque chose de rare en Europe, comme on peut le voir dans cette vidéo, filmée dans une RBI située dans le cirque de Campuls. Cette RBI protège la forêt ancienne sur une partie très raide et presque inaccessible de la montagne.
Trouver une stratégie commune
Une plus grande diversité d’arbres signifie également une plus grande diversité d’espèces animales et microbiennes. En général, on considère qu’une plus grande diversité protège l’ensemble de la forêt contre les espèces nuisibles et les agents pathogènes, ce qui la rend plus résistante aux pressions extérieures, telles que les effets du changement climatique.
Même si certaines essences d’arbres sont touchées par une espèce nuisible ou un agent pathogène, les autres peuvent ne pas être affectées et peuvent donc maintenir une grande partie des processus forestiers, ce qui augmente le potentiel de récupération de l’ensemble de la forêt.
Les pertes de forêts dues aux impacts croissants du changement climatique deviendront plus fréquentes. Dans les régions tempérées, nous avons peut-être les meilleures chances d’étendre davantage nos zones forestières, afin de lutter contre les deux catastrophes mondiales que nous sommes en train de vivre : le changement climatique et la perte de biodiversité. Pour cela, nous devons trouver une stratégie commune et comprendre qu’en protégeant nos forêts de montagne, nous nous protégeons nous-mêmes.
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Traduit de l’anglais par Fast ForWord
Dirk S. Schmeller, Professor for Conservation Biology, Axa Chair for Functional Mountain Ecology at the École Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse, Université de Toulouse III – Paul Sabatier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.