Sarcophage fissuré, déchets mal stockés… Le site de la centrale de Tchernobyl (Ukraine) était déjà à haut risque. Avec la guerre, les bombes, l’absence d’alimentation électrique et une maintenance dégradée le rendent encore plus vulnérable et dangereux. Le point sur la situation
Certes, la centrale nucléaire de Tchernobyl a cessé de fonctionner en 2000 mais elle nécessite une maintenance et un refroidissement permanents. Elle présente aujourd’hui trois risques majeurs qui sont exacerbés par le conflit actuel.
Roland Desbordes, porte-parole de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) énumère : « Le premier risque est le fissurage du vieux sarcophage construit dans l’urgence et en béton de mauvaise qualité. Pour protéger le réacteur endommagé jusqu’à son démantèlement futur et empêcher les poussières radioactives de s’échapper, les pays européens (contribuables) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ont financé pour 1,5 milliard d’euros la construction d’une gigantesque arche métallique. »
L’expert continue : « cette arche n’est pas faite pour résister aux bombes. Deuxième souci : le danger que représentent les combustibles usés des autres réacteurs, qui continuent de refroidir dans des piscines de « désactivation » puis dans des entreposages à sec à l’air libre. S’ils sont touchés par des tirs ou que l’alimentation en eau ou le système de refroidissement, électriques, sont interrompus, une explosion avec dispersion des éléments radioactifs sur des centaines de kilomètres peut survenir. »
Or, justement, ce mercredi 8 mars 2022, l’opérateur ukrainien Ukrenergo a annoncé que l’alimentation des équipements de sécurité de la centrale avait été « déconnectée du réseau électrique », faisant craindre le pire. Certes, les groupes électrogènes de secours ont pris le relais mais, alimentés en diesel, ils ne disposent que de 48 heures d’autonomie de carburant. En outre, ils sont souvent en panne… Pourtant le maintien du refroidissement des combustibles irradiés est crucial. Et le rétablissement de l’alimentation externe risque d’être difficile à court terme, en raison des combats dans cette zone.
Toutefois, dans un communiqué de ce mercredi 9 mars, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) se veut rassurante : elle considère que « le volume d’eau de refroidissement de la piscine est suffisant pour assurer une évacuation efficace de la chaleur du combustible usé sans électricité ».
Autre source d’inquiétude : « L’importance des déchets radioactifs enterrés à la va-vite ou exposés à ciel ouvert, entourés de nombreuses forêts pouvant prendre feu, souligne le porte-parole de la CRIIRAD, tout obus qui y éclaterait disperserait localement la radioactivité. »
Une maintenance humaine sous pression
Le 25 février, des niveaux de rayonnement « plus élevés » étaient signalés sur le site par le régulateur nucléaire ukrainien SNRIU. Un pic imputé au déplacement d’engins militaires russes sur la zone d’exclusion.
On sait en outre qu’à Tchernobyl la même équipe (210 personnels technique, administratif et de sécurité) est en service depuis le 24 février 2022, veille de l’entrée des militaires russes sur le site, et y vit depuis 14 jours, sans relève possible, ni nuits de sommeil correctes (2 heures par nuit), ni eau, ni alimentation et médicaments suffisants. Le Directeur général de l’AIEA, Rafael Mariono Grossi, a souligné et répété que le repos et la sérénité du personnel chargé de l’exploitation des installations nucléaires était crucial pour la sûreté.
La situation dans d’autres zones nucléaires n’est guère meilleure, et sans doute pire. Le 26 février, l’AIEA indiquait qu’un transformateur électrique avait été endommagé sur un site de stockage définitif de déchets radioactifs près de Kharkiv.
Le 27 février, c’était au tour d’une installation de stockage à Kiev d’être touchée. Le même jour, les forces russes auraient attaqué l’Institut de physique de la ville de Kharkiv où est conservé un réacteur expérimental chargé de combustibles nucléaires.
Le 4 mars, c’est la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, la plus grosse d’Europe avec 6 réacteurs (dont 2 en service), qui a été visée par des tirs, provoquant un incendie, la perte de deux lignes électriques à haute tension sur quatre et l’endommagement du système de refroidissement du réacteur 6. Les forces russes se sont ensuite emparées de la centrale.
Alors les Russes jouent-ils avec les nerfs des Occidentaux en s’attaquant à des sites nucléaires ? « Les réacteurs de Zaporizhzhia sont de conception moderne. Contrairement au réacteur de Tchernobyl, chacun est enfermé dans une cuve en acier sous pression, qui à son tour est logée à l’intérieur d’une structure de confinement massive en béton armé », indique Michael Bluck, directeur du Centre d’ingénierie nucléaire de l’Imperial College de Londres dans une analyse des risques publiée le 4 mars 2022 sur le site de la revue scientifique Nature.
De plus, « les centrales disposent également de plusieurs systèmes de sécurité de secours. Si un missile s’égare, il n’y a pas forcément à être inquiet. Ce sont des structures robustes », rassure le scientifique.
Une surveillance permanente des balises de détection
Face à cette situation néanmoins inquiétante, la communauté internationale se mobilise et reste en alerte. Le directeur général de l’AIEA s’est rendu jeudi 10 mars à Antalya (Turquie) sur l’invitation du ministre turc des affaires étrangères. En France, l’Institut de radioprotection de sûreté nucléaire (IRSN) a activé une cellule de crise et surveille le réseau de balises de détection de la radioactivité français (440 capteurs) et européen pour détecter une éventuelle hausse de la radioactivité ambiante. La télétransmission des capteurs surveillant les niveaux de radiation ambiants des centrales nucléaires de Tchernobyl et Zaporizhzhia a, elle, été perdue.
Florence Heimburger