Pas moins de 2630 micro-organismes, dont des bactéries multi-résistantes, sont présents sur le littoral aquitain. C’est ce que vient de dévoiler l’étude Aqui-Litt menée ces 4 dernières années par des chercheurs du laboratoire Aquitaine microbiologie de l’Université de Bordeaux. Une cartographie unique en son genre qui pourra permettre d’anticiper les risques sanitaires
En Europe, 33 000 personnes meurent chaque année en raison d’une infection causée par une bactérie résistante aux antibiotiques. Dans le monde, 1,27 million de décès annuels prématurés seraient attribuables à l’antiobiorésistance (2). Pour lutter contre ce problème de santé publique majeur dû à une utilisation massive et répétée des antibiotiques chez l’Homme et l’animal, les experts recommandent de considérer tous ses déterminants : l’environnement, la santé animale et la santé humaine, selon le concept « One Health » (ou « Une seule santé »). Ce fut le point de départ de l’étude Aqui-Litt (3), initiée et dirigée par le docteur en pharmacie Fatima M’Zali, directrice du laboratoire bordelais Aquitaine microbiologie (4). Ce projet s’est focalisé sur l’environnement marin, possible vecteur de bactéries antibiorésistantes et pourtant jamais étudié sous cet angle.
6 sites de prélèvements, 690 échantillons, 2630 micro-organismes collectés
Entre mai 2017 et octobre 2020, « 690 échantillonnages ont été réalisés sur 6 sites de la côte Atlantique, de la Rochelle à Hendaye, décrit Fatima M’Zali : 450 prélèvements dans l’océan (eaux, poissons, algues, sable…), 120 sur des animaux d’élevages côtiers (chevaux, ovins et bovins) et 120 sur des patients de 20 cabinets de médecine de ville, auxquels s’ajoutent des relevés hospitaliers de Bayonne et Bordeaux. »
Ainsi, l’équipe a pu caractériser 2630 micro-organismes (bactéries, champignons…), dont 3 totalement inconnus, et évalué leur niveau de résistance aux antibiotiques. Si les résultats sont encore en cours d’analyse, certaines tendances se dégagent : « À proximité du rivage, nous avons retrouvé de nombreuses bactéries multi-résistantes. Cette antibiorésistance disparaît quand on s’éloigne des côtes (au-delà de 1000 m), ce qui prouve son origine anthropique. Les micro-organismes concernés sont essentiellement d’origine fécale (provenant des rejets humains et animaux…) et d’origine marine ayant acquis des gènes d’antibiorésistance, comme les Vibrionaceae, et que l’on retrouve aussi dans les relevés hospitaliers. »
Plus de bactéries Vibrio avec le réchauffement des eaux
Contractés lors de la consommation de produits de la mer contaminés, de blessures avec des coquillages, baignades avec des blessures ou inhalation d’eau de mer, ces microbes marins sont à l’origine de gastro-entérites, infections cutanées, osseuses, cardiaques, pulmonaires, septicémies… Or, le réchauffement des eaux, même d’un degré, favorise la pousse des bactéries Vibrio et d’autres germes pathogènes.
Autres constats, plus positifs cette fois : « 70 à 80 % des micro-organismes identifiés ne poussent pas à 37°C (la température du corps humain) ou en absence de sel (hors mer), indique Fatima M’Zali. Ce qui signifie, pour ces micro-organismes-là, un risque faible d’infection du patient. »
Par ailleurs, les scientifiques ont trouvé dans certaines algues et poissons des micro-organismes d’intérêt car productrices d’antimicrobiens. Ces germes pourraient, à terme, être utiles à l’industrie agroalimentaire et au développement de nouveaux antibiotiques.
NOVA-Litt pour aider à se prémunir de futures épidémies, pandémies
Pour approfondir la recherche des risques sanitaires liés aux micro-organismes marins résistants et suivre d’éventuels phénomènes émergents sur le littoral – tel un nouveau Covid-19 (dont l’origine animale semble la plus probable), une nouvelle étude est déjà lancée : NOVA-Litt (2022-2025). Sous la direction du docteur Fatima M’Zali en collaboration avec le CHU de Bordeaux et notamment le Professeur Charles Cazanave, chef du service des maladies infectieuses, NOVA-Litt vise à élargir cette bio-surveillance à tous les micro-organismes potentiellement dangereux pour la santé humaine.
1 financée par l’Union européenne, la Région Nouvelle-Aquitaine et le groupe vétérinaire Ceva Sante animale
2 spécialisé dans le diagnostic des micro-organismes pathogènes en médecine humaine, vétérinaire et environnementale
Florence Heimburger