Les opioïdes ont révolutionné le traitement de la douleur mais peuvent parfois provoquer de graves effets secondaires, en plus d’être « addictifs ». Une équipe de l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier vient de décrypter les rouages moléculaires du récepteur opiacé « mu », cible principale des opioïdes. Des résultats porteurs d’espoir.
Morphine, tramadol, codéine…Chaque année, 18,2 % des Français se voient prescrire l’un de ces antalgiques opioïdes, selon les dernières données de l’Observatoire français des médicaments antalgiques. Si ces molécules sont particulièrement efficaces contre la douleur, elles possèdent des effets indésirables parfois très graves, comme la dépression respiratoire, pouvant entraîner la mort.
En outre, elles peuvent également produire une sensation d’euphorie ou de plaisir et devenir « addictives ».
500 000 morts aux États-Unis
Elles sont associées à une épidémie de décès aux États-Unis, où 500 000 personnes sont mortes d’un surdosage aux opioïdes licites (sur prescription) ou illicites entre 1999-2019, selon le Center for disease control and prevention. Une crise décrite dans les séries « The Pharmacist » (Netflix, 2020) et « Dopesick » (Disney+, 2021).
La France n’est pas épargnée : même si la situation n’est pas comparable. Pas moins de 442 décès liés aux opioïdes ont été recensés en 2017, et les décès par overdose d’opioïdes prescrits ont augmenté de 161 % entre 2000 et 2014.
Les rouages moléculaires du récepteur opiacé « mu » décryptés
Pourquoi n’arrive-t-on pas à diminuer, voire à supprimer ces effets néfastes ? « La difficulté réside dans le fait que les effets antalgiques et ceux indésirables des médicaments opioïdes sont dus à l’activation du même récepteur, baptisé « mu », présent dans le cerveau, la moelle spinale et les intestins », explique Rémi Sounier, chercheur INSERM qui a codirigé l’étude publiée récemment dans Molecular Cell.
Pour tenter de comprendre les mécanismes d’activation du récepteur, les scientifiques ont comparé cinq opioïdes, dont la buprénorphine, molécule prescrite en France et ayant peu d’effets secondaires mais agissant moins vite et moins longtemps que la morphine, et l’oliceridine, une molécule autorisée par l’autorité de santé américaine Food and drug administration (FDA) en 2020, aux propriétés différentes.
C’est ainsi qu’ils ont décrypté les rouages moléculaires au sein du récepteur qui seraient impliqués spécifiquement dans les deux voies de signalisation principales (système complexe de communication qui régit les processus fondamentaux des cellules et coordonne leur activité).
Un pas vers des antalgiques dénués d’effets néfastes ?
Pour y parvenir, ils ont combiné plusieurs méthodes innovantes : « Nous nous sommes appuyés sur des simulations informatiques, en utilisant l’un des supercalculateurs les plus rapides de France, Occigen, la spectroscopie RMN (résonance magnétique nucléaire, une technique qui permet d’obtenir des informations sur les mouvements fonctionnels ou changements de forme du récepteur lors de son activation) et des essais de pharmacologie sur cellules vivantes », raconte Rémy Sounier.
« Les retombées de ces travaux sont potentiellement importantes, souligne le chercheur, notamment pour permettre à terme de développer des molécules plus spécifiques, activant seulement les voies de signalisation qui nous intéressent ». Avant de tempérer : « Mais c’est loin d’être fait » !
Florence Heimburger