Iris Boyer, secrétaire générale de la branche française de l’ISD, un think tank visant à l’émergence de solutions innovantes et durables à l’extrémisme et à la polarisation, auparavant chargée de la lutte contre la haine en ligne chez Facebook, détaille ce qu’est une théorie du complot
« Une théorie du complot, c’est une situation que l’on a du mal à s’expliquer et dont on considère qu’elle résulte d’une manipulation ou d’un complot, secrètement coordonnés par des forces puissantes. Il y a un certain nombre d’indices pour reconnaître ces théories, comme le fait qu’elles désignent des boucs émissaires ou encore leurs références à un groupe de conspirateurs que l’on connait mal. Elles déploient des efforts conséquents pour tenter d’apporter de prétendus éléments de preuve, avec l’idée que rien n’arrive jamais par hasard, que tout est lié, que la grande Histoire peut permettre de tout expliquer par exemple. Que la vérité est ailleurs et qu’il n’y a pas de coïncidence possible.
Les théories du complot capitalisent sur le fait qu’il y ait bel et bien des complots qui existent, naturellement, pour justifier toute situation qui nous échappent ou dont les explications ne nous conviennent pas entièrement. On lie beaucoup ces théories du complot aux réseaux sociaux, mais elles existent depuis toujours et ont notamment été largement utilisées à des fins propagande. Ce qui a changé, c’est certain, c’est le fait que les réseaux ont tendance à accélérer leur transmission, à grossir leur influence, à mobiliser des communautés qui ne se sentent pas représentées par les personnes au pouvoir. Composées de personnes qui n’auraient pas forcément interagi dans la vie « physique », qui vont échanger sans arrêt sur les mêmes centres d’intérêt. Il y a donc une diffusion des théories plus importante qu’auparavant.
L’importance de l’éducation aux médias
On peut comprendre que les théories du complot prospèrent particulièrement dans un contexte de crise comme la pandémie car le phénomène nous paraît inédit, il révolutionne nos vies et au fur et à mesure que la recherche avance, les explications ne font pas toujours consensus. On connaissait les théories du complot qui nous paraissaient loufoques comme le fait que la Terre soit plate et leur adhésion nous semblait marginale. Mais dans un contexte d’incertitude, l’utilisation de théories du complot pour expliquer cette situation se généralise.
Les journalistes ont, dès lors, un rôle capital de recherche et de vérification de l’information, ainsi que d’éducation à ce qu’est le métier même de journaliste, son éthique, sa recherche de vérité. Beaucoup de médias ont d’ailleurs créé leur structure de vérification, et puis il y a des initiatives individuelles, des associations de journalistes pour éduquer à l’esprit critique.
Enfin les journalistes ont la responsabilité d’essayer de ne pas contribuer à la propagation des fake news. Le risque, c’est bien celui d’une distorsion de l’esprit critique qui nous amènerait à douter de tout. C’est pour cela que le défi de l’éducation aux médias et surtout de sa généralisation et de l’éducation du grand public aux techniques de déontologie journalistique est primordial, pour que ces réflexes deviennent une seconde nature. »
Retrouvez tous les articles de notre série sur l’esprit critique ici.
Jean Berthelot de La Glétais
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