Durant l’année 2020 qui vient de s’écouler, les écoles ont été largement fermées dans de nombreux pays. Selon les données de l’Unesco rien qu’en Europe, les fermetures partielles ou totales ont été de 10 à 40 semaines entre mars 2020 et mars 2021. Comment éviter que la situation ne se reproduise ? Vittoria Colizza et Alain Barrat ont étudié la question avec leurs collaborateurs. Voici leurs résultats
The Conversation : Où en est la situation épidémique à la veille de la rentrée ?
Vittoria Colizza : Le taux d’incidence reste élevé dans le pays. En outre, le variant Delta est très contagieux. On craint donc qu’à l’automne prochain la situation ne soit compliquée, malgré la couverture vaccinale.
(au 26 Août 2021, le taux d’incidence était de 216 pour 100 000 habitants. Malgré une décrue en France métropolitaine, les indicateurs hospitaliers continuaient à augmenter, et la situation en Guadeloupe et Martinique restait critique, ndlr)
En effet, quand bien même le taux de vaccination est élevé, il n’est pas suffisant pour empêcher la circulation du virus. Le concept d’immunité collective face au SARS-CoV-2 semble être devenu illusoire, car non seulement le variant Delta est-il plus contagieux que les variants précédents, mais qui plus est, les vaccins ne protègent pas à 100 % contre l’infection (même si leur efficacité contre les formes graves est très élevée).
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Une grande partie de la population est protégée, mais en l’état actuel de la vaccination, si le virus circule à nouveau fortement, des pics d’hospitalisation risquent encore de survenir, avec un impact important sur le système hospitalier. D’autant plus que le niveau de vaccination est hétérogène sur le territoire…
Une telle situation pourrait à nouveau menacer les écoles. En effet, on l’a vu sur l’année qui vient de s’écouler, la plupart des pays ont utilisé la fermeture des établissements scolaires comme un levier supplémentaire pour freiner l’épidémie quand la situation devenait hors de contrôle.
TC : Justement, la communication autour des écoles a été compliquée sur l’année passée. Que sait-on aujourd’hui de leur rôle dans la dynamique de l’épidémie ?
Diverses raisons ont empêché de prendre initialement la mesure du rôle des enfants et des établissements scolaires dans la dynamique de l’épidémie. En premier lieu, la plupart des enfants, quand ils sont infectés par le coronavirus SARS-CoV-2, développent des formes asymptomatiques de la maladie. Cela a rendu difficile la compréhension de leur rôle dans la transmission du virus au début de la pandémie. En outre, en France comme dans la majorité des autres pays, les enfants n’ont pas été systématiquement testés. L’Autriche et le Royaume-Uni comptent parmi les rares pays à l’avoir fait, et encore, seulement après la deuxième vague.
Autre difficulté : pendant la première vague, les écoles ont été fermées quasiment partout sur la planète. Difficile dans ces conditions de comprendre leur rôle dans la propagation du virus !
Depuis le début de la pandémie, les connaissances à propos de la susceptibilité des plus jeunes à l’infection ont également évolué. On a découvert très tôt que les plus jeunes étaient moins susceptibles d’être infectés que les adultes. Cependant, au fil du temps, les données s’accumulant, on a pu affiner les résultats. Des études ont notamment montré que la susceptibilité des adolescents est plus proche de celle des adultes.
TC : Une fois que les établissements d’enseignement ont rouvert, on a donc constaté que le virus y circulait aussi ?
VC : Oui, et notamment dans les lycées et collèges, car c’est une tranche d’âge où les infections sont les plus visibles, et où le virus est le plus transmissible (des études semblent en effet indiquer que les enfants plus jeunes, à l’école primaire, transmettent moins le virus que les adolescents.
Aujourd’hui, études de modélisation et études rétrospectives indiquent de façon assez claire que la réouverture des écoles a été associée à une augmentation de l’incidence de la maladie dans la population (et pas seulement dans les tranches d’âge des élèves).
TC : En quoi la vaccination change-t-elle la donne ?
VC : On a vacciné énormément dans les tranches d’âge au-delà de 12 ans, mais ce n’est pas encore suffisant pour empêcher complètement la transmission. Cela signifie qu’avec un taux d’incidence aussi élevé que celui que nous avons actuellement en population générale, l’incidence pèse aujourd’hui davantage sur les plus jeunes. Non plus seulement en raison de leurs activités durant l’été, leurs contacts, comme on l’a vu l’an dernier, mais aussi parce que le reste de la population est davantage protégé.
La contagiosité plus élevée du variant Delta fait aussi que l’on trouve désormais également plus de cas chez les enfants qu’avec les souches précédentes. De fait, nous avions montré dans nos travaux antérieurs, menés en collaboration avec l’Institut Pasteur, que si un virus similaire au variant Delta circulait à l’automne, une large partie des cas concernerait les tranches d’âge les plus jeunes, et que ces cas seraient à l’origine d’une transmission communautaire. En effet, les classes d’âge ne sont pas des compartiments isolés : si une tranche d’âge est contaminée, elle va finir par toucher les autres.
Les personnes les plus à risque dans ces autres tranches d’âge sont celles qui ne sont pas vaccinées. Elles sont encore nombreuses, et le système hospitalier pourrait se retrouver à nouveau en tension si elles devaient développer des formes sévères.
TC : À ce propos, le variant Delta est-il à l’origine de formes plus sévères, chez les enfants notamment ?
VC : Une étude écossaise sortie dès le début de la vague du variant Delta, puis confirmée par plusieurs autres études internationales, avait révélé une augmentation du risque d’hospitalisation associée à l’infection par le variant Delta par rapport au risque d’hospitalisation associée à l’infection par le variant précédemment majoritaire au Royaume-Uni (Alpha). Le risque d’hospitalisation suite à une infection par ce dernier était lui-même déjà augmenté par rapport à la souche « historique ».
On a aussi pu constater une augmentation des infections chez les nouveau-nés, mais il s’agit très probablement d’une conséquence des activités de leurs parents trentenaires. Cette tranche d’âge est très active socialement, et ce n’est pas la tranche d’âge la plus vaccinée aujourd’hui en France. En cette période d’incidence élevée, le virus circule chez ces personnes moins vaccinées, et finit par atteindre leurs bébés. C’est pour éviter de telles situations que l’on conseille généralement aux femmes enceintes et à l’entourage des nouveau-nés de se faire vacciner, quel que soit le virus concerné (une recommandation également valable pour la grippe par exemple).
TC : En attendant une éventuelle couverture vaccinale suffisamment élevée pour bloquer le virus, quelles sont les autres armes à notre disposition ?
Alain Barrat : On sait depuis longtemps que les tests sont l’une de nos armes les plus efficaces. S’il est difficile d’envisager de faire tester l’ensemble de la population d’un pays, dans certains contextes spécifiques cela devient envisageable. C’est par exemple le cas dans les écoles.
Dans nos derniers travaux, nous avons testé divers protocoles de dépistage (deux fois par semaine, une fois par semaine, une fois toutes les deux semaines…), dans plusieurs scénarios de vaccination (en faisant varier le pourcentage de vaccinés) et dans différentes conditions épidémiques (coefficients de reproduction R plus ou moins faibles, de 1,1 à plus de 1,5, soit la situation de la quatrième vague avec le variant Delta). Nous avons également testé des taux de participation au dépistage plus ou moins optimistes.
Pour chacune des valeurs de ces paramètres, nous avons fait des simulations numériques afin de déterminer les combinaisons permettant de détecter le plus grand nombre d’enfants infectés (en vue de les isoler sélectivement). Les résultats obtenus ont été comparés avec ceux obtenus grâce aux mesures actuellement en place, à savoir fermer toute classe où un enfant symptomatique a été testé positif pour la Covid-19.
TC : Qu’avez-vous appris ?
AB : Les résultats obtenus révèlent que, dans une population scolaire partiellement immunisée, un dépistage hebdomadaire régulier (« itératif », autrement dit répété chaque semaine) réduirait le nombre de cas en moyenne de 24 % dans le primaire et de 53 % dans le secondaire par rapport au seul dépistage basé sur les symptômes, pour un coefficient de reproduction (R) de 1,3 et à condition de tester au moins 50 % des enfants.
Un point intéressant : le fait que les enseignants soient entièrement vaccinés n’a pas d’influence sur la réduction des cas, en raison de leur nombre limité au sein des établissements.
Nous avons aussi constaté que la variable cruciale est la participation. Si la participation est élevée, on peut réduire la fréquence de dépistage. C’est probablement là que le bât blesse : en France, l’acceptabilité est modérée dans les écoles (autour de 50 %), mais bien plus faible dans les collèges où les lycées, où l’on atteint à peine les 13 %. Fort heureusement, les 12-17 ans sont de plus en plus vaccinés. Or à partir d’un certain taux de vaccination, tester devient moins utile. Toutefois, des tests hebdomadaires font encore baisser les cas de 20 %, même lorsque 50 % des élèves sont vaccinés.
VC : La fréquence des tests est beaucoup plus importante que la sensibilité elle-même. Plus on dépiste, plus on trouve de cas, et plus on isole rapidement, moins le virus se propage. Le mot clé est « régularité » : il faut bien comprendre qu’il ne suffit pas de dépister les cas une seule fois avant la rentrée. Nous sommes face à un processus dynamique, les enfants ont des liens avec l’extérieur, des cas peuvent être importés dans les écoles…
TC : Comment cette approche se compare-t-elle à la stratégie actuelle ?
VC : Un enseignement très important de cette étude est qu’un dépistage régulier permettrait également de réduire de 90 % le nombre de jours-élèves perdus par rapport à une fermeture de classe. Cette approche par tests itératifs est particulièrement efficace dans le cas des écoles, car elle permet d’éviter de mettre en quarantaine des élèves non infectées, comme c’est le cas lors des fermetures de classe sans distinction.
Elle permet aussi d’identifier des cas asymptomatiques qui seraient passés inaperçus. En les isolant, on empêche la transmission silencieuse, non seulement à l’école, mais aussi en dehors. C’est d’autant plus important que l’on sait aujourd’hui que les personnes vaccinées ont une certaine probabilité d’attraper le variant Delta et de le transmettre.
AB : En réalité, la fermeture systématique des classes quand on découvre des cas symptomatiques est absolument sous-optimale. Non seulement on prive d’école un grand nombre d’enfants qui ne sont pas contaminés, mais qui plus est, on n’est jamais certain que la mesure n’arrive pas « trop tard », après que des contaminations silencieuses vers d’autres classes se sont produites… En testant régulièrement, on va au contraire cibler les gens qu’il est optimal d’isoler pour empêcher la transmission.
Si l’on veut absolument maintenir les classes ouvertes tout en freinant l’épidémie, cette approche est beaucoup plus efficace que le protocole actuellement en place : le nombre de jours perdus est beaucoup plus faible qu’en fermant indistinctement des classes entières.
TC : Au-delà de la préservation des jours de classe, cette stratégie pourrait aussi s’avérer importante pour la santé de certains enfants…
AB : Oui, car même si l’immense majorité des enfants ne développe pas de formes graves, une petite proportion risque d’en être victime malgré tout. Le nombre d’enfants concernés sera d’autant plus important que les personnes infectées seront nombreuses dans la population. N’oublions pas non plus que l’incidence de l’obésité, facteur très aggravant de la maladie, est en augmentation dans une partie de la population adolescente…
VC : Se pose aussi la question des formes longues de Covid. Les chiffres montrent qu’une partie des enfants peut développer des covid longs (se traduisant par des symptômes qui perdurent au-delà de 4 semaines après l’infection : fatigue cognitive, perte d’attention, essoufflement…). Et ce, même si l’infection a été asymptomatique. Des estimations en provenance du Royaume-Uni évaluaient que ces covid longs pourraient concerner 7 à 8 % des cas. Sur l’ensemble du pays, cela fait rapidement des chiffres importants, et ce alors que l’on ne sait pas encore si cette forme de la maladie peut avoir des conséquences à long terme.
Vittoria Colizza, Directrice de recherche – Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), Inserm et Alain Barrat, Directeur de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.