C’est imparable : vous discutez avec quelqu’un en le regardant et à un moment, zip… votre regard fuit d’un coup. Très difficile à doser, le regard dans les yeux de l’autre met en œuvre des notions très diverses. En psychologie mais aussi en neurosciences. Et il faut trancher !
L’homme est le seul mammifère à regarder l’autre dans les yeux. Chez les prédateurs, on s’évite car un regard peut être pris comme une provocation. Chez les animaux sociaux, seul le dominant fixe l’autre dans les yeux, qui détourne alors le regard. Sauf en cas de défi en combat pour prendre sa place. En gros, il n’y guère que le bonobo, notre plus proche cousin, qui soit capable de fixer l’autre dans les yeux. Et encore… pas n’importe qui : presque uniquement le partenaire sexuel.
Chez l’homme, il n’est pas impossible que cette plus grande facilité à regarder l’autre soit due au fait que le bébé naît alors qu’il est encore presque aveugle. De fait, regarder l’autre devient un accomplissement, le signe d’une maturité corporelle qui suit son cours.
Le regard fuit par manque d’estime de soi ?
Alors pour expliquer les raisons qui font que, parfois, notre regard fuit, il faut trancher entre la psychologie et les neurosciences. Pour les psy, il s’agit clairement d’un problème d’estime de soi : on n’ose pas regarder les autres car on a peur de leur jugement. Et on retrouve les réflexes animaux qu’on a toujours au fond de soi. Il s’agit alors d’un rapport dominant/dominé. Mais depuis les romans du XIX ème siècle, on n’estime plus qu’un regard qui fuit est le signe d’une fourberie quelconque.
Pas deux choses en même temps
Par contre, des chercheurs japonais de l’université de Kyoto se sont livrés à une amusante expérience : confrontés à des vidéos de gens qui les fixaient ou pas, les sujets devaient trouver des mots en rapport avec un mot qu’on leur disait (couteau : couper, par exemple).
Ils ont constaté que plus l’association était complexe, plus les sujets que la vidéo fixait dans les yeux mettaient du temps à trouver leur mot… et presque toujours, ils détournaient le regard. Selon eux, fixer dans les yeux et parler mettent en œuvre le même processus cognitif même si l’on pense que ce sont deux tâches bien séparées. Ne pouvant mener à bien les deux choses avec le même réseau cognitif lorsqu’il a du mal à trouver ses mots, le cerveau abandonne une tâche pour poursuivre l’autre.
Ceci étant, cette étude est à confirmer : d’une part elle a eu lieu sur un échantillon restreint. Et d’autre part, elle s’est déroulée au Japon. Or, regarder dans les yeux est éminemment culturel. Si en Occident la tradition veut que ça donne une image de franchise, en Orient, il y a encore une notion hiérarchique. On ne regarde pas dans les yeux quelqu’un qui est censé être votre supérieur ou votre aîné. Bref, ça n’a l’air de rien mais, ce petit regard qui se détourne, c’est toute une histoire.
Jean-Luc Eluard