Pour la première fois, une thérapie génique s’attaque avec succès à une maladie mitochondriale héréditaire. L’injection d’un virus porteur d’un gène médicament dans l’œil de patients atteints de cécité a significativement amélioré leur vue. Une reconquête de leur quotidien
« Je partais à vélo à la fac, quand brusquement, à un rond-point, j’ai eu comme de la buée à l’intérieur d’un œil. J’ai failli avoir un accident. » Un mois après, Luc, 21 ans, est aveugle de l’œil droit et n’a plus que quelques dixièmes à l’œil gauche. Impossible pour lui de se voir dans la glace ou de se déplacer seul dans la rue. Le diagnostic tombe : il est atteint de la maladie de Leber.
Cette maladie rare touche plutôt les hommes entre 18 et 25 ans. Au banc des accusés : 4 gènes mitochondriaux, ND1, ND4, ND4L et ND6. Or, les mitochondries sont en quelque sorte les fournisseurs officiels d’énergie de nos cellules. Une déficience de leur part entraîne une dégénérescence et la mort des cellules ganglionnaires de la rétine, qui sont particulièrement gourmandes en énergie. La vision centrale est atteinte de façon irréversible. Enfin, jusqu’à aujourd’hui…
Introduction d’un gène sain dans les cellules malades
La thérapie génique consiste à introduire un gène sain dans les cellules malades afin qu’il recombine et remplace de façon pérenne la copie « malade » dans l’ADN du noyau. Problème, nous avons affaire ici à de l’ADN mitochondrial. Et la protéine exprimée à partir de ces gènes doit, à tout prix, être présente à l’intérieur même du générateur pour qu’il tourne correctement.
Les chercheurs de l’Institut de la vision ont une idée : ils ajoutent une séquence dite d’adressage au gène. Un peu comme La Poste appose une étiquette code-barre sur le colis afin qu’il soit livré à une adresse précise. Le gène exprimé dans le noyau est ensuite traduit en protéine dans le cytoplasme de la cellule avec l’étiquette « à livrer dans la mitochondrie ». Défi relevé ! Cette première mondiale est publiée dans la revue Science translational medicine, avec un résultat plus que convaincant : la vue s’est améliorée pour plus des trois quarts des patients.
La promesse de redevenir autonome
En pratique, la thérapie se résume à une injection de particules virales inactivées portant le gène sain dans chaque œil et sous anesthésie locale.
Après plusieurs semaines, le temps que les gènes arrivent jusqu’à leurs cibles, Luc se voit à nouveau dans le miroir. « Le traitement est d’autant plus efficace que la maladie est prise tôt, avant que les mitochondries ne soient complètement en arrêt », explique le Directeur de l’Institut de la vision, Serge Picaud.
Luc ne pourra plus poursuivre ses études de graphiste, mais il est capable, aujourd’hui, de se débrouiller seul.
Sophie Nicaud
Pour en savoir plus :
- Article référence : Bilateral visual improvement with unilateral gene therapy injection for Leber hereditary optic neuropathy, Patrick Yu-Wai-Man & al, Science Translational Medicine, dec. 2020
- Institut de la vision : premier centre de recherche en vision au monde
- GenSight Biologics : la start-up issue de l’Institut de la vision a mis au point et réalisé le développement clinique de ce traitement
Surprise ! En soignant un seul œil, les chercheurs se sont aperçus que le deuxième bénéficiait d’une amélioration comparable au premier. Pour en comprendre la raison, les auteurs de la publication ont réalisé des tests sur l’animal. Constat ? Il y a bien eu transfert du gène sain d’un œil à l’autre. D’après Serge Picaud, « La migration des particules virales pourrait se faire par le biais du nerf optique qui se croise au niveau du chiasma optique. La perte de certaines cellules ganglionnaires et de leur axone dans le nerf optique crée des espaces libres qui favoriseraient la diffusion du virus d’un œil vers l’autre. »