Un nouveau facteur vient d’être trouvé pour expliquer la stérilité masculine. Carsten Janke, chercheur CNRS à l’Institut Curie, a découvert, avec son équipe franco-allemande, une modification de la structure moléculaire de la queue du spermatozoïde qui lui confère une nage coordonnée et rectiligne. Sans cette étape, les spermatozoïdes partent en vrille et ratent leur objectif. Explications
Chaque fécondation est comme de nouveaux jeux olympiques. Et c’est plus de 100 millions de spermatozoïdes qui sont en compétition pour l’œuf d’or. Les nageurs parcourent une distance d’une dizaine de centimètres après avoir été déposés par Monsieur sur la ligne de départ. Direction les trompes de Fallope. Celui qui nage le plus vite et le plus droit est élu au brassage génétique. Et pour avoir un permis de procréer, il faut un flagelle de compet’ !
Tout est dans le flagelle
Carsten Janke, chercheur CNRS à l’Institut Curie, auteur d’une étude sur la structure de la queue du spermatozoïde explique : « le spermatozoïde est propulsé grâce à son flagelle, une sorte de queue qui garde le tempo des 20 à 30 mouvements par seconde. Vu en 3D, son mouvement ressemble à celui d’un tire-bouchon. Or, si les spermatozoïdes n’avancent pas droit, ils ont peu de chance d’atteindre l’ovule. Tout dérèglement de cette mécanique devient une cause potentielle de stérilité. Dans notre étude, nous avons constaté qu’une mauvaise synchronisation de leurs “moteurs” provoquait une nage en rond. Un peu comme si vous dérégliez les feux de circulation dans une ville. Plus personne n’arriverait à circuler. »
Un découplage des moteurs
« Pour comprendre le mécanisme, nous avons regardé au niveau moléculaire. Le flagelle, constitué de microtubules, est piloté par des moteurs moléculaires, des protéines appelées dynéines. En supprimant la glycylation, une réaction enzymatique qui se fait naturellement sur les microtubules, nous avons constaté que de nombreux spermatozoïdes nageaient en rond. Par quel mécanisme ? Chez des souris qui ne peuvent plus opérer de glycylation, les images en microscopie électronique montrent des moteurs désordonnés, contrairement à la souris normale. Les moteurs semblent ne plus pouvoir agripper les microtubules de façon coordonnée. »
Quand la recherche fondamentale s’applique
« Mon laboratoire s’intéresse aux microtubules. Ces incroyables fibres, appelées aussi cytosquelette, sont dynamiques et jouent de nombreux rôles dans la cellule : flagelle, fuseau mitotique pendant les divisions cellulaires, réseau routier pour transporter des organites sur des longues distances dans les neurones. Comment sont-ils capables de faire autant de choses alors qu’ils sont quasi identiques ? Ce qui les diffère, ce sont les modifications qui se font après leur synthèse, comme la glycylation. Ces recherches fondamentales aboutissent parfois, comme ici, à des applications très concrètes. Par exemple, si les effets engendrent chez la souris une réduction de la fertilité, il est fort probable qu’ils provoquent chez l’homme une infertilité. Quant aux neurones, l’étude de ces modifications nous donnera, j’espère, des “tuyaux” sur les maladies neurodégénératives… »
Propos recueillis
par Sophie Nicaud