Si pendant longtemps on a pointé les célibataires du doigt, de la vieille fille au célibataire endurci, on s’aperçoit finalement que la vie en solo résulte parfois d’un choix.
Vivre célibataire – ne pas ou ne plus être en couple – est une situation fréquente aujourd’hui et souvent même, renouvelée au cours de la vie. Quelles perceptions et quelles expériences en a-t-on, selon le milieu social ou le genre notamment ?
L’analyse de l’enquête Epic sur les parcours individuels et conjugaux et d’entretiens approfondis auprès de célibataires éclaire, de façon parfois inattendue, la diversité des célibats contemporains et de leurs vécus.
Vivre à deux, vivre heureux ?
Dans l’enquête Epic, menée par l’Ined et l’Insee en France métropolitaine en 2013-2014, une personne sur cinq âgée de 26 à 65 ans déclarait ne pas être en couple (21 %) et une personne sur deux avait connu au moins un épisode de vie hors couple (d’un an ou plus) depuis sa première relation amoureuse importante. Fréquent, ce célibat concerne tout autant les hommes que les femmes (21 %).
Néanmoins, la vie à deux est très majoritaire entre 26 et 65 ans et elle reste le modèle socialement valorisé. Les expériences rapportées par les célibataires ré-interviewés suite à l’enquête Epic en témoignent et convergent : quels que soient leur milieu social, leur sexe ou leur âge, leur histoire conjugale ou leurs aspirations, tous sont ou ont été incités par leur entourage à faire ou à refaire couple.
La vie à deux reste bel et bien la norme et le couple tient une place centrale dans les images sociales du bonheur. Un homme (36 ans, ouvrier, célibataire) explique ainsi :
« C’est ancré dans la société que, pour être heureux, il faut vivre à deux. »
Des propos qui font écho à d’autres, comme ceux de cette femme (53 ans, cadre, séparée et mère d’un enfant) :
« Je pense que les gens ont envie de vous voir heureux, votre famille et vos amis. Et donc, bien souvent dans la tête des gens, être en couple… enfin, être seul, c’est pas être heureux. »
Pour autant, la vie célibataire n’est ni expérimentée, ni appréciée de la même façon par toutes et tous.
Le sexe du célibat
Les hommes se mettent en couple plus tard que les femmes ; ils sont plus nombreux à être célibataires lorsqu’ils sont jeunes. Inversement, les femmes entrent plus tôt dans la conjugalité, et en sortent plus précocement aussi.
Passée la trentaine, qui constitue un temps fort de la vie conjugale pour les deux sexes – le taux de vie hors couple est alors très bas – les séparations, les divorces et les veuvages n’affectent pas les femmes et les hommes de la même façon (figure 1).
À partir de la quarantaine, le taux de vie hors couple augmente pour les femmes sans jamais plus diminuer. Les parcours des hommes sont moins sensibles à l’âge. Moins touchés par le veuvage, ils se remettent aussi plus souvent et plus rapidement en couple après une rupture.
On le voit, au fil de la vie, célibats masculins et célibats féminins ne se ressemblent pas. Ils ne sont pas non plus appréciés de la même façon : certes, femmes et hommes célibataires déclarent en majorité que leur célibat est « un choix » (46 % des femmes et 34 % des hommes) ou que « sans être vraiment un choix, leur situation leur convient » (25 % des femmes et 28 % des hommes), mais les femmes sont plus affirmatives que les hommes qui, eux, sont plus nombreux à aspirer à une relation amoureuse importante (28 % contre 24 % des femmes) ou à souhaiter une ou des relations sans s’engager (7 % contre 4 %).
Ces résultats renouvellent le regard sur la vie célibataire et les aspirations qui l’accompagnent, très souvent observées – dans la recherche comme dans les médias – sous le seul angle du célibat des femmes, nous privant ainsi de la comparaison.
Le célibat subi n’est pas là où on le croit
La vie célibataire est plus courante dans les milieux modestes. C’est vrai pour les hommes et pour les femmes, bien que moins marqué pour ces dernières. De façon graduelle, les proportions de personnes hors couple diminuent lorsque l’on s’élève dans l’échelle sociale (figure 2). Ainsi, 29 % des ouvriers et 24 % des ouvrières sont célibataires, contre 13 % des hommes cadres et 18 % des femmes cadres.
De nouveau toutefois, la vie célibataire ne s’inscrit pas de la même façon dans les parcours des femmes et des hommes de milieux modestes. Les hommes célibataires ouvriers, employés ou agriculteurs sont plus nombreux à n’avoir jamais été en couple tandis que les femmes célibataires employées ou ouvrières célibataires ont, elles, plus souvent un passé conjugal, marqué par un veuvage ou un divorce. Autrement dit, on observe chez les hommes une différence sociale d’accès à la conjugalité, alors que chez les femmes, la différence s’exprime plutôt en termes de sortie de la vie conjugale.
Selon le milieu social, les appréciations portées sur le célibat contrastent aussi : les personnes employées ou ouvrières plus que les personnes cadres ou appartenant aux professions intellectuelles supérieures affirment que « c’est un choix » (43 % contre 33 %). Moins satisfaites de la vie célibataire, ces dernières déclarent davantage s’être – parfois ou souvent – senties exclues du fait de ne pas être en couple.
La moindre fréquence du célibat dans les classes supérieures semble coïncider avec une norme conjugale plus forte. Inversement, dans les classes populaires où la vie hors couple, la monoparentalité et le célibat définitif sont plus répandus, ces situations sont peut-être moins stigmatisées et excluantes. Ces différences de vécus et de perceptions de la vie célibataire sont particulièrement marquées chez les femmes.
Prix et primes du célibat féminin
Les ouvrières et les employées présentent beaucoup plus souvent leur célibat comme un choix (50 %) que les femmes cadres et professions intellectuelles supérieures (25 %). Elles considèrent aussi plus souvent que la vie hors couple « ne change rien » à leur vie de tous les jours (43 % contre 34 %) alors que les femmes cadres répondent davantage que le célibat rend leur quotidien « plus difficile » (42 % contre 30 %).
Ces différences se renforcent encore lorsque l’on tient compte de la parentalité : les mères célibataires des milieux favorisés déclarent bien plus de difficultés associées à la vie hors couple que les mères ouvrières ou employées.
C’est donc dans les milieux modestes, et même en situation de monoparentalité – une situation que l’on sait appauvrissante – que les femmes s’accommodent le mieux de la vie hors couple.
De premier abord surprenant, ce résultat s’éclaire à l’aune des témoignages des femmes employées et ouvrières interviewées. D’abord lorsqu’elles soulignent la continuité de leur rôle et de leur travail, domestique et éducatif : avec ou sans conjoint, il leur faut « tout faire », « tout gérer ». Ensuite lorsqu’elles pointent l’autonomie de décision trouvée ou retrouvée dans la vie hors couple : seules, elles sont désormais libres de décider, certes sous contraintes mais sans comptes à rendre, des dépenses ou de l’éducation des enfants. La gestion de l’argent est emblématique de cette autonomie nouvelle.
Alors que l’inégale répartition du travail parental et ménager marque aussi la vie conjugale des femmes cadres, l’indépendance financière des conjoints est plus grande dans les couples au statut social élevé. Gérer son budget sans avoir à négocier constitue donc une différence et un gain plus significatifs pour les femmes ouvrières et employées que pour les autres. Et c’est à cette liberté de décision, gagnée ou regagnée, qu’elles sont attachées.
Refaire couple, autrement
Vivre célibataire de façon satisfaisante n’exclut pas l’idée de (re)vivre en couple et déclarer que ne pas être en couple est « un choix », comme l’ont fait 40 % des personnes célibataires au moment de l’enquête Epic (en 2013-2014), ne signifie pas qu’il s’agisse d’un choix de vie, définitif.
Les choses ne sont pas figées et les remises en couple, fréquentes, en témoignent aussi. Deux ans après une rupture, plus de la moitié des personnes séparées se sont déjà remises en couple.
En revanche, ce qu’on observe de façon nouvelle, c’est que les périodes de vie célibataire – souvent négligées comme des « périodes creuses » où il ne se passerait rien – affectent bel et bien la façon d’envisager la conjugalité. Les expériences de vie célibataire changent la façon de faire ou de refaire couple. De ce point de vue, préserver son espace personnel apparaît comme un idéal fort, voire un enjeu, qui influence le fonctionnement et le type d’union envisagés (concubinage ou couple non cohabitant plutôt que (re)mariage, notamment).
Cette question de l’autonomie dans le couple apparaît à la fois dans les représentations de la vie à deux mais aussi dans les pratiques. Plus on a vécu de périodes célibataires, moins on adhère à l’idée qu’« être en couple, c’est tout faire ensemble ».
Parmi les personnes n’ayant connu aucune période de célibat (d’au moins un an) depuis leur première relation amoureuse, 49 % considèrent qu’« être en couple, c’est tout faire ensemble » contre 34 % de celles ayant vécu deux périodes de célibat ou plus depuis leur première relation. De même, au sein des couples, plus on a vécu de périodes célibataires auparavant, moins on vit dans une relation fusionnelle, où les pratiques de sociabilité (voir les amis, la famille, ou passer des vacances) se font la plupart du temps ensemble. L’expérience du célibat se traduit par une plus grande indépendance au sein du couple.
Ce texte est adapté d’un article publié par les autrices dans Population et Sociétés n° 584, « Vivre célibataire : des idées reçues aux expériences vécues » et d’un article publié par les autrices et Françoise Courtel dans Population, 2019/1 Vol. 74, « La vie hors couple, une vie hors norme ? Expériences du célibat dans la France contemporaine ».
Marie Bergström, Chercheuse en sociologie du couple et de la sexualité, Institut National d’Études Démographiques (INED) et Géraldine Vivier, Ingénieure de Recherche, Institut National d’Études Démographiques (INED)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.