Pascal Froissart, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris VIII, estime qu’il est impossible d’interdire la diffusion de fake news. Il s’en explique
« Si l’on n’interdit pas la diffusion de fake news, c’est d’abord parce que ce serait liberticide, attentatoire à la liberté d’expression. Dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, il est tout de même fait mention de “fausses nouvelles” : il y a donc déjà un encadrement, on ne peut pas diffuser n’importe quelle information. Mais la fake news, c’est compliqué car au fond on ne l’a pas encore réellement définie, personne ne sait exactement ce que signifie ce terme. Il apparait avec régularité en novembre 2016, popularisé par l’équipe de communication de Donald Trump. C’est donc une notion née dans un contexte éminemment politique.
Et qui, pour ceux qui l’ont popularisée, l’équipe Trump donc, désigne les médias traditionnels, que l’on veut déqualifier dans un discours antisystème que l’on trouve dans tous les pays occidentaux.
Donc, la difficulté réside déjà dans le fait de définir ce qu’est une fake news, et ce n’est ailleurs sans doute pas un hasard si c’est un terme que l’on n’a pas encore réussi à franciser.
« Un peu comme une loi contre le mal »
Il y a cependant eu, en 2018, une modification du Code électoral pour sanctionner la diffusion de fake news en période, précisément, électorale. Elle n’a abouti qu’à une seule instruction, qui s’est terminée par un non-lieu. Et pour cause : cette instruction repose sur un juge des référés, qui a 24 à 48 heures pour se prononcer, ça n’a pas de sens.
Mais sur le fond aussi, cela pose problème. Car une fake news, a priori, c’est la diffusion d’une information dont on sait qu’elle est fausse. Cela veut dire qu’il y a une intention. Or comment déterminer l’intention ? Si je dis “Untel a deux bagues à chaque main, je pense que cela signifie qu’il appartient à une secte”, est-ce que j’ai l’intention de lui nuire ou sincèrement peur qu’une secte domine le monde ?
La loi de 1881 est un socle, elle contient des termes du contrat social auxquels ont touche rarement, et c’est une bonne chose. Il est dangereux d’y toucher, car elle est adossée à la Constitution.
En résumé, faire une loi contre les fake news, ce serait s’inscrire contre un grand principe mais ce serait aussi inapplicable. Un peu comme si on créait une loi contre le mensonge, ou contre le mal… »
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Propos recueillis par
Jean Berthelot de La Glétais