Une fois qu’elle est née, comment se propage une théorie complotiste ? Réponse avec Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à l’Université de Paris-Diderot, spécialisé dans les cultures numériques et collaborateur de l’Observatoire du conspirationnisme et chroniqueur sur France Inter
« Ce que je trouve notable, tout d’abord, dans l’histoire des idées complotistes, c’est l’accélération de la circulation des fausses informations due à l’écosystème des réseaux sociaux. Il y a eu deux moments clefs, selon moi : vers 2000, avec la popularisation du web, qui a notamment permis la diffusion de rumeurs liées au 11-Septembre. Puis vers 2010, avec l’expansion des réseaux sociaux. Auparavant, les théories complotistes existaient évidemment, mais elles restaient marginales. Aujourd’hui, les réseaux rassemblent 3,5 milliards de personnes ! Ils sont la porte d’entrée vers l’information pour les deux tiers des Américains, par exemple.
Le marché de l’information s’est trouvé bouleversé et sa dérégulation accélérée par cet état de fait. Avec deux particularités : jusque dans les années 2000, on ne faisait que publier de l’information. D’une part, aujourd’hui, on en recommande aussi, ce que ne faisaient pas des sites ou des blogs. D’autre part, la généralisation de l’utilisation des algorithmes accentue les travers de consommation de l’information, en faisant monter des contenus dont l’audience va au-delà de celle qu’elle aurait eue sans eux.
« Une visibilité accrue aux discours extrémistes »
Cela donne une visibilité accrue, bien souvent, aux discours marginaux et extrémistes car la circulation de l’information est mécaniquement plus forte quand elle est poussée par des communautés militantes. Or les extrémistes sont plus militants que les personnes mesurées. Cela se traduit, par exemple, par ces groupes anti-masques qui pullulent sur les réseaux, alors qu’il n’existe aucun groupe pro-masque.
Tout ceci a créé un terreau très fertile pour l’accélération du cheminement des idées complotistes. Lequel fonctionne justement sur le jeu de recommandations particulières : une idée passe de micro-communauté en micro-communauté, fait des sauts de puce pour aller de profil en profil en gagnant en toxicité. Chaque saut est un renouvellement accéléré de la force de la recommandation.
C’est par ces centaines de milliers de sauts de puce dans tous les sens que l’on atteint des audiences faramineuses. Et assez inédites ! Car chaque personne qui est exposée à une idée ne l’est pas par un phénomène lointain, mais bien par quelqu’un avec qui elle a des affinités fortes. C’est donc la proximité que l’on a avec le passeur de cette info qui nous amène à y être encore plus sensible. Et comme, en plus, la circulation de l’information se fait en temps réel, ce cheminement s’en trouve d’autant plus accéléré… »
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Propos recueillis par
Jean Berthelot de La Glétais
Avec le soutien du ministère de la Culture