Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
La proposition la plus polémique de la convention citoyenne pour le climat a certainement été celle de limiter la vitesse maximale autorisée de 130km/h à 110km/h sur l’autoroute
Pour beaucoup de Français opposés à cette mesure, cette limitation est « purement idéologique » et restreindrait considérablement leurs déplacements. La proposition n’a d’ailleurs pas été retenue par le gouvernement.
Au cœur du débat néanmoins, se pose la question de l’efficacité d’une telle limitation pour réduire les émissions polluantes de CO2.
Pour comprendre ces mécanismes, il faut s’intéresser aux forces mises en jeu et principalement à celles qui s’opposent au mouvement, les frottements.
L’énergie d’une voiture
Pour commencer, il faut s’intéresser de plus près à l’énergie mise en jeu lorsqu’une voiture roule sur autoroute.
Observons une voiture qui roule à 130km/h. Elle possède une certaine énergie cinétique, soit l’énergie de l’objet liée [à son mouvement]. À 130km/h, cette énergie est de 0,23 kWh et elle n’est plus que de 0,16 kWh à 110km/h, cette valeur évoluant en fonction du carré de la vitesse.
Ces valeurs physiques expliquent pourquoi les dégâts, lors d’un accident, sont d’autant plus graves que la vitesse est élevée. En effet, cette énergie peut être transformée en déformation de la carrosserie en cas d’accident.
Mais elle est plus couramment transformée en chaleur par frottement des plaquettes de frein sur les disques de frein. En effet, pour ralentir un véhicule il faut dissiper son énergie cinétique, et, pour ce faire, la plupart des voitures transforment l’énergie cinétique en énergie thermique par frottement.
Cependant, il est tout à fait envisageable de transformer l’énergie cinétique en énergie électrique. C’est sur ce principe que fonctionne les véhicules hybrides en récupérant l’énergie lors du freinage pour la réutiliser plus tard, ce que l’on appelle le freinage régénératif. Ce principe permet d’économiser de l’énergie, principalement lors de démarrage et d’arrêt fréquent, donc plutôt en ville.
Mais sur l’autoroute les coups de frein sont plutôt rares, cependant il existe d’autres frottements qui vont intervenir. Sur une voiture, ces frottements sont principalement de deux types : le frottement de l’air et la résistance au roulement des pneus.
Le rôle du pneu
La résistance au roulement est une force qui s’oppose au mouvement de la voiture. Cette dernière est assez facile à appréhender puisque c’est contre elle que l’on doit lutter lorsque l’on pousse une voiture.
Cette résistance au roulement est en grande partie due à la déformation que subit le pneu sous le poids de la voiture. À l’arrêt, seule une petite partie du pneu est en contact avec la route.
Cette partie se déforme sous le poids de la voiture et s’aplatit légèrement, ce qui augmente la surface en contact avec la route et améliore l’adhérence. Quand le pneu roule, la partie en contact cesse de l’être, reprend sa forme initiale, et la partie suivante du pneu se déforme au contact de la route. Le nombre de déformations subies par une partie du pneu dépend uniquement de la distance parcourue et non de la vitesse.
La déformation d’un pneu sous gonflé, et qui s’écrase donc davantage, est supérieure à celle d’un pneu correctement gonflé, ce qui explique la surconsommation liée au sous gonflage des pneus.
Et, à l’inverse, un pneu trop gonflé ne se déforme pas suffisamment, donc la surface de pneu en contact avec la route est trop faible pour assurer une bonne adhérence. Sur l’autoroute, chaque partie du pneu entre en contact avec la route une quinzaine de fois par seconde.
Ces déformations du pneu dissipent de l’énergie et s’opposent au mouvement proportionnellement à la distance parcourue. Si on souhaite garder une vitesse de croisière constante, il faut compenser cette perte d’énergie.
On peut calculer cette perte en fonction de la nature du contact (pneu roulant sur de l’asphalte) et de la masse du véhicule. Dans le cas d’une voiture de 1260kg avec des pneus correctement gonflés et pour un trajet de 100km, cela représente environs 3,4 kWh et ce quelle que soit la vitesse.
Frottement de l’air
Le frottement de l’air est une force que l’on perçoit très bien : en mettant la main à la fenêtre d’une voiture sur autoroute, la main est repoussée. Cette force s’oppose au déplacement de la voiture.
Elle varie en fonction du carré de la vitesse, ainsi que d’autres caractéristiques propres à chaque voiture (coefficient aérodynamique Cx et surface frontale et de la densité de l’air.
Comme cette force s’oppose au mouvement (elle cherche à ralentir la voiture), il faut en permanence fournir de l’énergie pour maintenir la vitesse constante. Pour un trajet de 100km à 130 km/h, cela représente une énergie de 14,6 kWh contre 10,5 kWh à 110km/h, soit environ 100 fois plus que l’énergie cinétique de la voiture.
En baissant la vitesse de 130km/h à 110km/h, on réduit de 28,4 % l’énergie perdu à cause des frottements de l’air, et, comme la vitesse n’a baissé que de 15 %, le temps de trajet ne s’est allongé que de 15 %.
Pour résumer la partie physique ci-dessus, pour maintenir une vitesse constante durant un trajet de 100km, il faut une dépense énergétique de 18kWh à 130km/h et de 13,9kWh à 110km/h. Cela correspond à une dépense d’énergie plus faible de 23 %.
Physiquement, la baisse de la vitesse sur autoroute conduit à une réduction de l’énergie consommée, peu importe qu’il s’agisse de carburant liquide ou d’électricité.
L’essai des Pays-Bas et de l’Espagne
D’ailleurs, la réduction de la vitesse maximale sur autoroute a déjà été tenté en 2011 durant 4 mois en Espagne face à l’envolée des prix du pétrole (passage de 120km/h à 110km/h). Pour Miguel Sebastian, ministre de l’Industrie espagnol de l’époque, cette baisse avait permis une baisse de 7,9 % de la consommation de carburant.
Plus récemment (12 mars 2020) des mesures de réduction de la vitesse sur autoroute ont été prises aux Pays Bas, réduction de 130km/h à 100 km/h dans la journée, pour réduire notamment les émissions polluantes d’oxyde d’azote.
L’intérêt énergétique d’une réduction de la vitesse sur autoroute ne porte pas exclusivement sur la consommation de carburant.
Elle permettrait aussi de rendre les voitures électriques plus compétitives face à leurs homologues thermiques en augmentant leur autonomie. À titre d’exemple, pour une même batterie de 50kWh, il est possible de parcourir 278km à 130km/h mais 360km à 110km/h.
Enfin en permettant des économies d’énergies et donc de carburant une réduction de la vitesse permet également des économies tout court représentant 360M€ par an sur la consommation de carburant.
Réduire notre dépendance au pétrole
Un autre avantage à réduire le besoin énergétique dans le domaine des transports est de réduire notre dépendance au pétrole. En effet, en 2018, dans le secteur des transports, le pétrole représente plus de 90,2 % des sources d’énergie utilisées.
Cette dépendance au pétrole est accrue par une production très faible sur le sol français (quelques pour cent de la consommation), et conduit par conséquent à des importations massives. Cette dépendance vis-à-vis des pays producteurs (Kazakhstan, Arabie saoudite, Russie, Nigéria, Algérie, Lybie), en plus de déséquilibrer la balance commerciale de la France, réduit les marges de manœuvre diplomatique vis-à-vis des pays dont nous sommes dépendants pour notre approvisionnement.
La réduction de la vitesse sur autoroute présente donc une indéniable économie d’énergie (-23 %), mais également d’autres avantages, en rendant les voitures électriques plus compétitives et en améliorant l’indépendance énergétique de la France.
On comprend mieux pourquoi la convention citoyenne pour le climat a choisi une telle mesure pour réduire les émissions françaises de gaz à effet de serre.
Manuel Ildefonso, Maître de conférence en Physique, Université de Pau et des pays de l’Adour
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.