En étudiant l’impact de la fourmi moissonneuse sur des pelouses sèches méditerranéennes de la plaine de Crau, le chercheur CNRS Thierry Dutoit et son équipe ont mis en évidence le rôle clé de ce petit invertébré pour la fertilité des sols
Le 07 août 2009, la fuite accidentelle d’un oléoduc provoquait une marée noire terrestre sur plus de 5 hectares dans la plaine de la Crau, au cœur d’une réserve naturelle située dans le sud-est de la France. Depuis cette catastrophe, plusieurs méthodes ont été testées par des chercheurs de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie (IMBE) pour restaurer les écosystèmes dégradés. L’une d’entre elles est fondée sur l’introduction de fourmis moissonneuses dans les sols contaminés.
La « fourmi n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut », assure Jean de la Fontaine dans sa célèbre fable « La cigale et la fourmi ». Un défaut mineur aux yeux de Thierry Dutoit, directeur de recherche au CNRS. Car sa capacité à transporter et à stocker des graines en prévision des jours de disette, représente un véritable atout pour la restauration de la végétation typique de la plaine de Crau.
Des ingénieures de l’écosystème
En creusant des galeries, « ces fourmis assurent le brassage du sol, l’amendent en y incorporant des matières organiques et améliorent ainsi sa fertilité », commente Thierry Dutoit. Mais leur principale contribution réside dans le transport, la redistribution et le stockage de graines de végétaux dont elles se nourrissent. « 70 % des espèces végétales présentes ici ont leurs graines transportées par des fourmis. D’où l’idée d’utiliser ces insectes comme agent de redistribution de la végétation ».
Glanage et stockage
Prévoyantes, les fourmis moissonneuses font des stocks pour pouvoir casser la graine durant la mauvaise saison. Les récoltes s’échelonnent du printemps à la fin de l’été. A l’inverse de la cigale de la Fable, les fourmis préfèrent glaner. « Une partie des graines ramenées à la fourmilière sont entreposée au grenier, mais d’autres sont refusées à l’entrée et mises en dépotoir pour des raisons inconnues. » D’autres encore sont déposées en route.
Dispersion et redistribution
En fin d’été, les dépotoirs sont pleins… A la faveur d’une grosse pluie « ces déchets accumulés sont répandus et les graines dispersées autour du nid ». Leur germination devient alors possible. « Au cours de l’automne, on voit se développer une véritable ceinture verte autour du nid. » Au printemps suivant, les fleurs de ces espèces végétales vont ensuite monter en graines dont une grande partie pourra être à nouveau collectée par les fourmis, disséminée et ainsi de suite… Résultat : la biomasse végétale augmente ainsi que sa richesse. Les résultats de cette expérimentation sont parus dans la revue Biological Conservation le 15 avril 2020.
Des prairies plus résilientes
« Grâce à leur action, les fourmis nous aident à redessiner la steppe » se réjouit Thierry Dutoit. En l’espace de 5 à dix ans, ces invertébrés ont accéléré la restauration de ces prairies dégradées en facilitant leur rétablissement. L’intégralité de cette restauration devrait prendre encore des dizaines d’années, mais la trame du dessin final est désormais posée.
Alexandrine Civard-Racinais
Photo d’ouverture DR Renaud Jaunatre / IMBE / CNRS Photothèque
A lire « Restaurer la nature, un travail de fourmis ? » sur le site Theconversation.com
Qui est Messor barbarus ?
Très commune en région méditerranéenne, Messor Barbarus fait partie des espèces de fourmis moissonneuses. Les pelouses sèches et les sous-bois clairsemés sont ses lieux de nidification privilégiés. Dans la plaine de la Crau, leurs nids peuvent s’étendre sur 25 mètres carrés. Les ouvrières sont classées en trois catégories en fonction de leur taille : minor (à droite de la photo ci-dessous), media et major (à gauche de la photo). Les plus grandes d’entre elles, les média et les major, arborent une tête rougeâtre caractéristique.
[caption id="attachment_11164" align="aligncenter" width="800"] Les puissants muscles mandibulaires des fourmis major sont très utiles pour venir à bout des graines les plus dures. PHOTO DR Guy Theraulaz /CNRS Photothèque[/caption]
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