Dès l’annonce des mesures de déconfinement, l’idée d’une école dont les cours s’organiseraient à l’extérieur s’est développée. Plusieurs tribunes ont appelé à ouvrir l’école sur la société, à faire classe dehors. Avec la mise en place de protocoles sanitaires contraignants, cette école du dehors devenait à la fois une « solution sanitaire et salutaire » et un symbole de liberté retrouvée
Ce 24 août 2020, en déplacement dans une école de l’Oise, le ministre de l’Éducation a évoqué aussi les bienfaits pédagogiques de la classe en plein air, notant qu’elle pourrait faire partie des recours en septembre dans un contexte de lutte contre l’épidémie de Covid-19, tant que la météo le permet.
Ce mouvement d’ouverture à la nature n’est pas nouveau. Il s’agit d’un courant pédagogique ancien et international qui connaît aujourd’hui un réel regain d’intérêt. Alors le moment est-il venu de passer de la théorie à la pratique, de l’expérimentation à la généralisation, et d’instaurer ainsi en éducation un nouveau rapport entre l’être humain et son environnement ?
Nature et bien-être
Les bénéfices d’une connexion des enfants avec la nature sont multiples et reconnus par de multiples études. Les mois que nous venons de passer nous ont prouvé le caractère vital d’un lien avec la nature. Peut-on parler d’une simple initiative à l’occasion du déconfinement, ou bien de l’émergence, comme l’ont écrit Moina Fauchier-Delavigne et Mathieu Chereau, d’une révolution verte de l’éducation ?
L’activité dans la nature est un élément de santé mais aussi de bien-être de l’enfant. Les jeux, les moments dans la nature à observer, courir, chanter, écouter, sentir sont autant de moyens pour améliorer son autonomie et sa confiance. Cela crée un autre rapport à soi et à son environnement. La présence de la nature influe sur nos comportements et nos émotions.
Du point de vue éducatif, ses bienfaits sur le plan psychologique se traduisent dans les comportements mais aussi dans le développement cognitif par la prise en compte des besoins et des intérêts de l’enfant.
Encore pionnières en France, les études scientifiques sont multiples dans les pays anglo-saxons. Les travaux de Katherine Mycock montrent, pour la Grande-Bretagne, l’importance des apprentissages dans la nature pour le développement de l’enfant. Dans l’Hexagone, c’est depuis une dizaine d’années que la curiosité grandit pour cette forme d’éducation alternative à l’enseignement traditionnel.
Connaissances concrètes
On peut parler d’une pédagogie par la nature, l’objectif étant de reconnecter les enfants à l’environnement. La découverte des éléments naturels est un moyen de sortir des apprentissages exclusivement livresques et d’extrapoler les connaissances pour se confronter à l’environnement par ses sens, son corps et son esprit.
L’éducation hors les murs souhaite développer une exploration concrète, pour sensibiliser les plus jeunes à la nature. Les enfants y jouent, montent aux arbres et construisent des objets. Ce sont bien des expériences qui existent déjà en colonie de vacances ou alors dans le scoutisme, mais elles prennent ici un caractère scolaire. Les connaissances ne donnent pas seulement lieu à des explorations et à des moments de vie sociale, mais aussi à l’acquisition de compétences multiples en calcul, en vocabulaire et en compréhension scientifique, géographique, historique ou artistique.
Aujourd’hui, ces activités en extérieur sont aussi perçues comme étant importantes pour le bien-être face à une sédentarisation qui multiplie les problèmes de santé comme l’hyperactivité, l’anxiété, l’obésité et le stress.
Plusieurs principes fédèrent les écoles qui font ce choix :
- la notion de plaisir engendré par la nature sur l’enfant
- la volonté d’une éducation intégrale qui prenne en compte les différentes facettes d’une personnalité
- l’idée de développer une relation avec son environnement.
Précédents historiques
Depuis Jean‑Jacques Rousseau ou Johann Heinrich Pestalozzi, les réformateurs de l’éducation ont souligné l’importance de la nature dans le développement harmonieux des enfants. Les pédagogues de l’éducation nouvelle du début du XXe siècle comme Freinet ou Decroly ont théorisé cette école de la vie où il convient de sortir de la classe pour observer, expérimenter et comprendre.
Au début du XXe siècle, les écoles de plein air représentent un courant pédagogique européen qui propose d’ouvrir l’architecture de l’école vers l’extérieur et de penser une pédagogie en lien avec la nature. L’exposition actuelle sur l’école de plein air de Suresnes met en lumière les innovations architecturales et pédagogiques de ce type d’école.
Les écoles forestières, « forest schools », et d’éducation à l’extérieur, « outdoor education », forment aujourd’hui un réseau mondial structuré. On retrouve, dès les années 1920, aux États-Unis des écoles qui font de la nature la raison même de leur présence. Les « forest schools » connaissent un essor constant en Europe, principalement dans les pays germaniques et scandinaves. Au Danemark, l’idée d’école forestière est devenue une partie intégrante du programme d’études pour les enfants d’âge préscolaire (moins de sept ans).
Depuis une dizaine d’années, un programme national a été mis en place en Grande-Bretagne et le pays rassemble plus de 140 écoles forestières en tant que telles.
En France, les écoles dans la nature se développent encore lentement. Le mouvement de « pédagogie par la nature » tente de structurer les expériences pédagogiques qui font de la nature leur socle. Depuis 2018, plusieurs écoles s’inscrivent dans cette mouvance.
Écoles éco-citoyennes
Au-delà de l’initiation au développement durable, à la connaissance et au respect de l’environnement, aujourd’hui partie prenante des programmes scolaires, les écoles éco-citoyennes impliquent les élèves dans des actions concrètes, comme la débitumisation et la revégétalisation des cours de récréation. De son côté, le réseau éco-école représente plusieurs milliers d’établissements scolaires qui, depuis 2005, œuvrent à développer des compétences spécifiques en matière de développement durable et d’éducation.
La difficulté est de dépasser le seul discours de connexion avec la nature et de mettre en œuvre les pratiques interdisciplinaires de l’école dehors. Des expérimentations ont lieu au sein de l’enseignement public. Des écoles du Doubs développent des pratiques à « ciel ouvert » et des acteurs de terrain militent pour ces pratiques.
Rapprocher les enfants de la nature et de l’environnement c’est appréhender l’éducation d’une façon profondément différente. La situation sanitaire, les inquiétudes face à l’avenir mais aussi la nécessité d’agir pour la transition écologique offrent un contexte favorable et des perspectives pour « l’école dehors ». Les différents acteurs de l’éducation, institution scolaire, parents et enseignants sauront-ils en prendre conscience pour l’avenir des enfants et entreprendre une vraie réforme éducative fondée sur l’harmonie des êtres humains avec leur environnement ?
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.