Plus que le Coronavirus en lui-même, c‘est l’orage cytokinique, un emballement du système immunitaire en réponse à l’infection qui provoque les complications les plus graves et peut conduire au décès.
Jean-Claude Lecron, responsable au CHU de Poitiers du service d’immunologie et inflammation, qui mène depuis 30 ans des recherches sur les cytokines dans le laboratoire LITEC (Laboratoire Inflammation, Tissus Epithéliaux et cytokines) de l’Université de Poitiers, décrypte pour nous ces « tsunamis inflammatoires ».
« Lorsque l’individu est agressé par des virus, des bactéries ou même des lésions, il développe une réponse inflammatoire. C’est un phénomène physiologique normal, nécessaire, pour réagir face à cette agression et s’en débarrasser. Ces signaux de « danger » activent des récepteurs sur les cellules de notre système immunitaire ou d’autres tissus comme la peau, les poumons… qui vont sécréter des cytokines. Ces cytokines, une cinquantaine, sont des protéines, qui vont avoir un rôle de messager, en particulier pour le système immunitaire et inflammatoire. Ces cytokines vont induire une machinerie très complexe pour nous défendre d’agresseurs multiples, et assurer notre intégrité.
Après cette activation, en quelques jours généralement, notre organisme retrouve naturellement un état de base (allostasie) : il est important de contrôler cette inflammation pour empêcher qu’une inflammation chronique ne s’installe, ou encore que le système ne dérape et devienne délétère. Ainsi, dans certains cas, il peut se produire un « orage cytokinique ». C’est un emballement de la production de cytokines, dont les concentrations peuvent augmenter de plusieurs milliers de fois dans les tissus agressés, mais aussi dans le sang. D’une défense localisée, la réponse devient exacerbée et systémique (qui affecte tout l’organisme). Cela créé alors une forme de « tsunami » que le système immunitaire ne peut plus arrêter et qui va agir sur l’ensemble des tissus, avec comme conséquence, des messages contradictoires, exacerbés et délétères sur de multiples fonctions vitales, mais également la mort de certaines cellules.
On connait l’implication des cytokines dans ce phénomène depuis une vingtaine d’année, et celles impliquées principalement sont l’IL-6, les IL-1 et le TNF. Ce choc conduit le patient en service de réanimation. C’est ce qui se produit dans les cas les plus graves de patients atteints du Covid-19.
La létalité est donc davantage liée à cet emballement de production de cytokines et leurs effets systémiques qu’au virus lui-même. Ce sont les cytokines qui ont cet effet délétère. Les tests sur animaux ont également démontré que « cet orage », cette production massive de cytosines peut être très rapide, avec un pic très court et intense. Cet orage cytokinique ne dépend pas seulement de l’agent infectieux, du virus, mais aussi de l’hôte. Chacun d’entre nous a un système immunitaire qui peut être différent et qui va répondre différemment. »
« Quand le feu est parti, il est alors difficile de l’éteindre »
« Certains vont être mieux armés pour résister à certaines agressions, d’autres non. Si l’individu a notamment d’autres atteintes pathologiques, il a moins de capacités à réagir. Par exemple les personnes souffrant de diabètes ou d’obésité, toute personne avec des situations inflammatoires sous-jacentes qui vont interférer. Les systèmes immunitaires de ces personnes sont déjà activés et sollicités et la réponse ne sera pas la même.
A l’heure actuelle, il existe en biothérapie des traitements anti-cytokines pour des maladies telles que le psoriasis, la polyarthrite rhumatoïde… Cela fonctionne bien sur ces maladies inflammatoires chroniques. Ce n’est pas le cas pour des situations aigües tel le choc septique grave. Les réanimateurs, qui connaissent bien depuis plus de 20 ans cet orage cytokinique, le savent bien… Pour le Covid-19, ces traitements peuvent donc être une piste thérapeutique, mais c’est une hypothèse à prendre avec beaucoup de prudence. Ces cytokines sont fondamentales pour induire une réponse inflammatoire aigüe mais, nous l’avons vu, leur production fugace et variable selon les individus rend difficile leur contrôle, ou encore leur utilisation comme marqueur biologique. Dans le cas du Covid-19, l’hyper-inflammation est précoce, soudaine et courte. Quand le feu est parti, il est alors difficile de l’éteindre… ».
Propos recueillis
par Marianne Peyri
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