La pandémie de Covid-19 met la population générale à rude épreuve et son moral est entamé. Selon un sondage réalisé par l’IFOP pour le Journal du Dimanche, l’inquiétude envahit la grande majorité des personnes interrogées (84 %). Selon une méta-analyse récente portant sur 24 études scientifiques ayant évalué l’impact psychologique du confinement en période épidémique (SARS, ebola), lors d’une période longue de confinement, le risque de détresse psychologique (dépression, anxiété, confusion, etc.) ainsi que des symptômes de stress post-traumatique persistants sont réels.
En Belgique, une étude coordonnée par l’Université d’Anvers souligne une évolution négative du niveau de bien-être mental des citoyens. Notamment, le climat relationnel avec les adolescents se détériore au fil des semaines, avec une hausse de 12 % au cours des 7 derniers jours, passant de 15 % après une semaine de confinement à 27 % dorénavant.
Rappelons que nos choix et comportements sont constitués majoritairement de routines et d’habitudes. Or ces dernières sont contraintes par la pandémie actuelle qui vient les perturber, ce qui est source d’anxiété. Enfin, l’incertitude quant aux informations disséminées ou à notre capacité à gérer la pandémie nourrit les sentiments anxiogènes.
Au cœur de cette crise sanitaire et émotionnelle se trouvent les soignants confrontés au Covid-19. Le corps infirmier, les médecins, les aide-soignants, sont soumis à une pression psychologique importante et la qualité de leur jugement est vitale pour contenir le risque de mortalité de patients présentant un syndrome aigu de détresse respiratoire.
À ce titre, comme le rapportent les experts chinois en protection de la santé mentale, protéger les soignants des conséquences psychologiques sur le long terme s’avère essentiel pour contrôler la pandémie.
Un risque accru de difficultés psychologiques
Une étude récente portant sur 1257 professionnels de la santé issus de 34 hôpitaux dans différentes régions de Chine traitant des patients atteints du Covid-19 rapporte des données cliniques probantes.
Les soignants au contact de personnes hospitalisées qui présentent un état de détresse respiratoire grave due au Covid-19 (région de Wuhan) manifestent davantage de symptômes de dépression (50,4 %), d’anxiété (50,4 %), d’insomnie (34,0 %) et de détresse psychologique que les soignants situés en dehors de la zone à risque.
Cette information fait écho au risque accru de difficultés psychologiques rencontrées par les soignants lors de l’épidémie du SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome), d’Ebola et de la grippe équine. Les sources de détresse peuvent inclure des sentiments de vulnérabilité ou de perte de contrôle et des préoccupations concernant sa propre santé, le risque de contaminer sa famille ainsi que des tendances à s’isoler. Par ailleurs, le risque psychologique lors du SARS était plus élevé chez le personnel infirmier que chez les médecins, probablement en raison de la durée de contact direct plus élevée.
Des mesures phares à Wuhan
Plusieurs types de mesures ont été prises dans la province de Wuhan, dès le début de l’épidémie. Par ailleurs, un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) souligne l’importance de ces mesures afin d’éviter l’apparition de troubles psychologiques chez nos soignants.
L’une des premières mesures fut de permettre aux soignants de première ligne de se reposer plusieurs fois par jour. Une bonne prise de conscience de la durée de la crise est nécessaire pour éviter l’épuisement trop rapide des ressources humaines disponibles. Des plates-formes de communication en ligne ont permis de fournir aux soignants des informations précises afin de réduire le risque de contamination, ce qui a eu pour effet de réduire la pression sur les soignants.
Des équipes d’intervention psychologique ont été formées pour constituer un dispositif de soutien articulant quatre niveaux.
Premièrement, l’équipe psychosociale (composée de responsables et d’attachés de presse des hôpitaux) coordonne le travail de la direction et les tâches de publicité. Deuxièmement, l’équipe d’experts seniors en santé mentale était chargée de mettre au point le matériel, de formuler les règles d’intervention, de promulguer des recommandations cliniques et d’assurer une supervision clinique. Troisièmement, l’équipe d’intervention psychologique s’oriente vers les agents de santé et les patients. Enfin, l’équipe de télé-assistance composée de bénévoles ayant reçu une formation en assistance psychologique pour faire face à l’épidémie fournit des conseils téléphoniques, en cas d’insomnie, de dépression, d’anxiété, pour aider à faire face à des difficultés.
Objectif solidarité aux soignants
En Belgique, la crainte de la pénurie en professionnels de la santé mentale a fait naître des initiatives comme « PsyForMed ». Il s’agit d’une plate-forme mettant en lien le personnel médical au contact avec des patients en souffrance respiratoire liée au Covid-19 avec des psychologues et des médecins.
Pour l’heure, plus de 1 500 psychologues ont proposé de délivrer gratuitement des entretiens téléphoniques ou en visioconférence. Cet élan altruiste est remarquable et, à l’instar des applaudissements de nos citoyens chaque jour à 20 h, il ne peut être que salutaire pour nos soignants.
En revanche, il n’est pas évident pour un psychologue clinicien ou un médecin d’interagir utilement avec des soignants de première ligne confrontés à des phénomènes tels que les décès en nombre des patients, l’impuissance, la surcharge de travail et la crainte d’être infecté.
Un niveau de formation et d’expérience est nécessaire et ces initiatives devraient être assorties d’une période formative et de supervision. Cette procédure étant difficile à mettre en œuvre rapidement, le recours aux cellules de soutien offert par les hôpitaux devrait être privilégié.
Les recommandations générales de l’OMS
Selon les [recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, les soignants devraient être invités à considérer la pression ressentie comme normale dans les circonstances actuelles.
Toutefois, une bonne gestion de sa santé mentale est aussi importante que sa santé physique. Les mesures prophylactiques incluent des périodes de repos pendant le travail, une nourriture saine, un niveau d’activité physique minimum ainsi que des contacts avec la famille et les amis.
En revanche, la consommation de psychotropes tels que l’alcool n’est pas recommandée. Même si la période est inédite, les soignants sont encouragés à utiliser les moyens de gestion du stress qui leur ont été utiles dans le passé. Il est aussi important d’insister sur la durée de l’effort, il ne s’agit pas d’un sprint, mais d’un marathon. Favoriser les contacts avec les collègues peut rompre l’isolement ressenti ainsi que diminuer le stress chronique.
Ces recommandations doivent être relayées car elles évitent de dramatiser les réactions au stress, notamment en soutenant les ressources psychosociales des soignants. Toutefois, les systèmes d’aide psychologique doivent être suffisamment expérimentés et supervisés pour une bonne détection et un suivi adapté aux situations cliniques plus compliquées.
Xavier Noël, Docteur et professeur-chercheur en Psychologie, Université Libre de Bruxelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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