Les uns mettent en garde contre les possibles intoxications liées à la consommation de fromages au lait cru, les autres mettent en avant ses bénéfices pour la santé. Où placer le curseur ?
Le Reblochon, le Roquefort, le Salers, le Brie, le Picodon, le Pélardon, le Morbier, le Mont d’Or…Tous des fromages au lait cru. Leur particularité : utiliser un lait qui n’a pas été chauffé au-delà de 40°C avant la fabrication (1). On les différencie donc des fromages à pâtes pressées cuites (Emmental, Comté, Gruyère…). L’absence de chauffage préservant les micro-organismes présents naturellement dans le lait après la traite, ces fromages au lait cru utilisent donc une « matière vivante ». On parle de « flore microbienne » du lait.
Les fromages au lait cru peuvent se révéler plus sensibles aux bactéries pathogènes issues par exemple d’un incident lors de la traite, d’une infection des mamelles des vaches. Dans ces cas-là, en consommer peut conduire à une contamination par des bactéries type salmonelle, listeria, escherichia coli… (2)
Population fragile : des règles de prudence
En 2019, plusieurs épidémies ont touché de jeunes enfants. Cela a ainsi incité les pouvoirs publics à rappeler des règles de prudence : soit éviter la consommation de fromages au lait cru par les populations les plus sensibles comme les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées. « Ces mesures de prévention restent nécessaire pour éviter que de nouveaux jeunes enfants de moins de 5 ans consomment ces produits au lait cru et contractent une maladie grave aux séquelles rénales voire neurologiques lourdes », a indiqué Bruno Ferreira de la Direction générale de l’alimentation, au ministère de l’Agriculture, lors du colloque « Fromage au lait cru : entre risques et bénéfices » qui s’est tenu le 30 janvier 2020 et a dressé l’état actuel de la recherche dans ce domaine.
Davantage de goûts et de valeurs nutritionnelles
Malgré ces risques sanitaires, reste que ces fromages au lait cru, non nocifs pour les adultes en bonne santé, ont par ailleurs de sacrés atouts. Premier argument : ils offrent à nos papilles une plus vaste palette de goûts, la présence de cette flore microbienne reflétant le milieu dans lesquelles évoluent vaches, chèvres et brebis : l’herbe mangée, l’environnement des caves… etc.
Le bénéfice n’est pas que gustatif. Ces fromages au lait cru ont généralement une plus grande valeur nutritionnelle (vitamines, minéraux, antioxydants…). Celle-ci découlant cependant du type d’alimentation des animaux et des pratiques d’élevage. De plus, leur diversité microbienne (3) et les aliments fermentés en général faciliteraient la digestion.
Ils boostent notre flore intestinale
Autre argument de poids : consommer des fromages au lait cru boosterait notre flore intestinale. La présence de bactéries bénéfiques renforcerait en effet notre système immunitaire et détruirait des bactéries pathogènes susceptibles de provoquer des maladies. Présente au colloque, Sylvie Lortal, ex-directrice de recherche à l’INRA, alerte justement sur l’érosion actuelle de cette diversité microbienne. Les fromages au lait cru ne représentent plus en effet désormais que 10 à 15 % de la production totale de fromages en France.
Fabriqués par l’homme, bien avant l’invention de la roue et de l’écriture, les fromages au lait cru ont été durant des siècles les seuls fromages consommés. Leur production a été drastiquement réduite à partir des années 1950-1960 au tournant de la diffusion de la pasteurisation et de l’industrialisation.
Face à cette standardisation, selon Sylvie Lortal, « notre alimentation s’appauvrit en diversité microbienne. Or le fromage devient l’une des premières sources de cette diversité. On va vers un appauvrissement de notre flore intestinale ».
Une protection possible contre les allergies
De même, plusieurs études épidémiologiques ont mis en évidence le lien entre consommation de lait cru par les enfants et baisse du risque d’allergie et d’infections respiratoires. Pour Marc-André́ Selosse, Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris : « Si l’hygiène a, ces dernières décennies, protégé des maladies contagieuses, l’érosion de diversité de notre microbiote a favorisé l’émergence de maladies de la modernité qui touchent : le système immunitaire (allergies, asthme, maladies auto-immune), le métabolisme (diabètes, obésité́) ou le système nerveux (syndromes autistiques) ».
Marianne Peyri
(1) Lorsque le lait est chauffé entre 40 et 72°C, on parle de « lait thermisé », et lorsqu’il est chauffé au-delà de 72 °C pendant 15 secondes, on parle de « lait pasteurisé ».
(2) Au total, 128 épidémies de listérioses, salmonelloses, et à STEC investiguées par Santé publique France pendant la période 2004-2018 ont été analysées dont 39 (30%) étaient associées à la consommation de fromage au lait cru.
(3) Un fromage au lait cru contient entre 100 millions à 1 milliard de micro-organismes par cm3.
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