Quelle est l’ampleur de la pêche illégale dans les mers australes ? Grâce à des albatros équipés de balise, des chercheurs du CNRS et de La Rochelle Université sont désormais en mesure de répondre à cette question, cruciale pour la conservation de la biodiversité et la préservation des ressources.
Plus grand oiseau volant du monde, l’albatros est capable de parcourir jusqu’à 1000 kilomètres par jour au dessus des flots et sa curiosité l’amène souvent à interagir avec les bateaux de pêche opérant dans la zone sud de l’Océan indien. Aussi Henri Weimerskirch, directeur de recherche au centre d’études biologiques de Chizé a-t-il eu l’idée d’équiper ces grands planeurs d’un véritable dispositif de surveillance.
Objectif ? Obtenir en temps réel la localisation des navires, même lorsque ceux-ci sont dépourvus de système d’identification automatique (AIS). Les balises de ce projet nommé Ocean Sentinel reposent en effet sur un système Argos, un GPS et un détecteur de radar miniaturisé unique au monde. Car même si les pêcheurs illégaux ne sont pas équipés d’AIS, ils ont besoin d’un radar pour naviguer en toute sécurité dans ces eaux souvent tumultueuses.
Les braconniers des mers démasqués
Lorsqu’un albatros se trouve à moins de 5 kilomètres d’un bateau, sa balise détecte le signal radar émis et indique quasi-instantanément sa position aux scientifiques qui la relaient aux autorités. « Si un navire se trouvant dans une zone économique exclusive (ZEE), ne peut pas être identifié par l’AIS, cela signifie qu’il agit probablement en toute illégalité », commente Alexandre Corbeau, doctorant au CEBC, membre de l’équipe « Prédateurs marins ».
De fait, les résultats du projet Ocean Sentinel (mené entre novembre 2018 et mars 2019) ont révélé que plus du tiers des bateaux rencontrés par les oiseaux dans les eaux internationales n’étaient pas déclarés. Pire, 50 % des navires croisés au large de l’île d’Amsterdam (en ZEE française) se trouvaient en situation irrégulière. Grâce aux données collectées par les albatros sentinelles, l’ampleur de la pêche illicite dans cette zone de l’océan Indien ne peut donc plus être ignorée.
La pêche illégale, véritable fléau
Ces données, publiées dans la revue américaine PNAS, le 27 janvier 2020, devraient permettre aux autorités concernées de mieux lutter contre les braconniers de mers qui pillent impunément les ressources halieutiques et impactent fortement les populations d’albatros hurleurs ou du rare albatros d’Amsterdam (35 couples reproducteurs en 2017).
Les engins de pêche utilisés représentent en effet la « principale cause de mortalité accidentelle des albatros qui gobent les appâts, se retrouvent ferrés et se noient ». Si les pêcheries autorisées à travailler dans la ZEE autour des terres australes françaises font aujourd’hui des efforts pour éviter ce risque, il n’en va évidemment pas de même des autres. D’où l’importance d’une surveillance accrue de ces zones : « un seul bateau illégal en moins représente des centaines d’oiseaux sauvés chaque année ».
Mieux protéger les albatros
Les données collectées apportent également de nouveaux éléments de connaissance sur les interactions entre ces deux espèces d’albatros et les pêcheries. L’attraction de ces oiseaux pour les bateaux de pêche varie en effet selon l’espèce à laquelle ils appartiennent et leur âge « Les albatros hurleurs semblent particulièrement attirés par les bateaux de pêche. Par ailleurs les individus adultes et immatures vont plus souvent au contact des navires que les juvéniles », précise Alexandre Corbeau.
Des connaissances précieuses pour les gestionnaires de la réserve naturelle des Terres australes françaises, la plus grande réserve nationale, récemment classée au patrimoine mondial de l’Unesco, qui tentent de protéger ces oiseaux emblématiques, menacés de disparition à terme.
Alexandrine Civard-Racinais
Photo de Une: C. Matheron/TAAF
Ocean Sentinel, un projet novateur
Le projet Ocean Sentinel, développé dans le cadre du programme européen ERC Proof of Concept, avec le soutien de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor, propose une nouvelle forme de surveillance des océans grâce à des technologies innovantes « embarquées » par des espèces marines. Entre novembre 2018 et mars 2019, les albatros équipés de balises ont ainsi permis de surveiller plus de 47 millions de km2 à la surface de l’océan Austral. « Nous avons prouvé que c’était possible ! », se réjouit Alexandre Corbeau. « Il appartient maintenant à d’autres équipes de s’approprier l’outil et de l’adapter à d’autres espèces ». Des requins ou des tortues de mer pourraient être prochainement équipés d’un dispositif similaire.
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