Une semaine après que la Chine a notifié à l’OMS les premiers cas d’une pneumonie sévère d’origine inconnue, le 31 décembre 2019, l’agent en cause était identifié : un nouveau coronavirus, depuis baptisé SARS-CoV-2. Quelques jours plus tard, son génome était déjà disponible. En un peu moins de trois mois, plus de 970 articles scientifiques ont surgi sur la base de données PubMed.
Connaître la biologie du virus facilite la construction de stratégies thérapeutiques (antiviraux) et préventives (vaccins). Nous savons que son génome présente 79 % de similitude avec le virus SARS-CoV-1 (responsable du SRAS – syndrome respiratoire aigu sévère), que la clé d’entrée du virus dans nos cellules est la protéine S, et que sa fixation passe par le récepteur ACE2.
La protéine S du SARS-CoV-2 présente 76 % de similitude avec celle du virus SARS-CoV-1, et son affinité pour le récepteur ACE2 est plus élevée. C’est ce qui pourrait expliquer pourquoi le nouveau coronavirus est plus contagieux et plus transmissible que le SARS-CoV-1. L’entrée du virus est également facilitée par une protéase située dans la cellule elle-même, appelée TMPRSS211.
Une fois que le virus SARS-CoV-2 est à l’intérieur de la cellule, il met en branle plusieurs de ses gènes. Parmi les plus importants figurent ceux qui permettent de produire l’ARN polymérase (RdRp), une enzyme qui réplique le génome du virus, ainsi que les protéases C3CLpro et PLpro, qui interviennent dans le traitement des protéines virales. Ces gènes sont similaires à ceux du SARS-Cov-1 respectivement à 95, 95 et 83 %.
En seulement trois mois, plusieurs propositions thérapeutiques et de vaccins ont vu le jour pour lutter contre ce nouveau coronavirus. Jamais la science n’avait tant avancé en si peu de temps pour combattre une épidémie. Un grand nombre de ces propositions proviennent de groupes de recherche qui travaillent depuis des années contre d’autres virus, notamment ceux du SRAS et le MERS (Middle East Respiratory Syndrom – syndrome respiratoire du Moyen-Orient). Toutes ces connaissances accumulées ont permis d’avancer à une vitesse inédite.
Des thérapies antivirales pour guérir
Connaître en détail le génome du virus et comment il se multiplie dans les cellules nous permet de proposer des antiviraux qui le bloquent et inhibent sa multiplication.
Inhiber l’entrée du virus
La chloroquine a été utilisée pendant des années contre le paludisme. On sait que ce médicament (répandu et bon marché) est aussi un antiviral puissant qui bloque l’accès du virus aux cellules. Pour cette raison, plusieurs groupes de recherche s’intéressent à son efficacité pour réduire la charge virale chez les patients atteints du SARS-Cov-2.
Certains des virus qui sont entourés d’une enveloppe, comme le SARS-CoV-2, entrent dans la cellule par endocytose, en formant une petite vésicule. Une fois à l’intérieur, une baisse du pH favorise la fusion de l’enveloppe du virus avec la membrane vésiculaire qui la contient, de sorte qu’elle se libère dans le cytoplasme.
Dans le cas du SARS-CoV-2, la chloroquine empêcherait cette chute de pH, ce qui inhiberait la fusion des membranes afin d’éviter l’entrée du virus dans le cytoplasme cellulaire. Pour l’instant, on a pu voir que l’hydroxychloroquine, un dérivé moins toxique, inhibait la réplique du SARS-Cov-2 in vitro dans les cultures cellulaires.
Ce n’est pas l’unique proposition actuellement à l’étude pour empêcher le coronavirus d’entrer dans les cellules. Le baricitinib, un anti-inflammatoire approuvé pour traiter l’arthrite rhumatoïde, pourrait inhiber l’endocytose du virus. Le mésylate de camostat, un médicament approuvé au Japon contre l’inflammation du pancréas, inhibe quant à lui la protéase cellulaire TMPRSS2 nécessaire à l’entrée du virus. Il a été prouvé que ce composé bloque l’entrée du virus dans les cellules pulmonaires.
Inhiber l’ARN polymérase virale
L’un des antiviraux les plus prometteurs contre le SARS-Cov-2 est le remdesivir, un analogue nucléotidique inhibiteur de l’ARN polymérase virale, qui empêche le virus de se multiplier à l’intérieur de la cellule.
Le remdesivir a déjà été employé contre le SARS-Cov-1 et le MERS-CoV, et a fait l’objet d’essais fructueux durant les dernières épidémies d’Ebola ainsi que contre d’autres virus à ARN. Il s’agit donc d’un antiviral à large spectre. Au moins douze essais cliniques de phase II sont déjà en cours en Chine et aux États-Unis, et un autre essai de phase III a commencé avec 1 000 patients en Asie.
Le favipiravir est un autre inhibiteur de l’ARN polymérase virale à large spectre pour lequel les essais cliniques ont commencé : les premiers résultats, portant sur 340 patients chinois, ont été satisfaisants. Ce médicament a été approuvé en tant qu’inhibiteur du virus de la grippe et a été testé contre d’autres virus à ARN.
Inhiber les protéases
Il a été suggéré que la combinaison du ritonavir et du lopinavir pourrait inhiber les protéases du SRAS-CoV-2. Ces composés sont déjà utilisés pour traiter l’infection par le VIH.
Le lopinavir est un inhibiteur de la protéase du virus, qui se dégrade facilement dans le sang du patient. Le ritonavir agit comme protecteur et empêche la décomposition du lopinavir, raison pour laquelle on les administre ensemble.
Malheureusement, un article qui vient d’être publié démontre après des essais sur 199 patients que cette combinaison ritonavir-lopinavir est inefficace contre le coronavirus.
Bonne nouvelle toutefois, au moins 27 essais cliniques sont en cours, portant sur différentes combinaisons de traitements antiviraux, tels que l’interféron alpha-2b, la ribavirine, la méthylprednisolone et l’azvudine.
Ces traitements demeurent expérimentaux, mais on peut espérer que certains seront utiles pour les cas les plus graves.
Vaccins pour l’avenir
L’autre stratégie pour contrôler le virus repose sur les vaccins. Rappelons qu’ils sont préventifs : ils pourront nous protéger de la prochaine vague du virus, s’il revient. L’OMS détient déjà une liste d’au moins 41 candidats.
L’un des plus avancés est peut-être celui proposé par une équipe chinoise, un vaccin recombinant basé sur un vecteur adénoviral contenant le gène S du SARS-CoV-2. Il a déjà été testé sur des singes, et on sait qu’il produit une immunité. Un essai clinique de phase I testant trois doses différentes doit commencer avec 108 volontaires sains, âgés de 18 à 60 ans. L’objectif est de s’assurer de la sécurité du vaccin (évaluer les possibles effets secondaires) et de déterminer quelle dose induit la plus forte réponse en termes de production d’anticorps.
D’autres propositions proviennent du CEPI, une association internationale à laquelle collaborent des organisations publiques, privées, civiles et philanthropiques, avec pour objectif de développer des vaccins contre les épidémies futures. Actuellement, le CEPI finance déjà huit projets de vaccins contre le SARS-CoV-2, lesquels incluent des vaccins recombinants, des vaccins protéiques et des vaccins à base d’acides nucléiques.
Les voici :
Vaccin recombinant utilisant le virus de la rougeole comme vecteur (Institut Pasteur, Themis Bioscience et Université de Pittsburgh)
Il s’agit d’un vaccin basé sur un virus de la rougeole atténué. Celui-ci est utilisé comme un véhicule à l’intérieur duquel se trouve un gène codant pour une protéine du virus SARS-CoV-2. Le virus vecteur délivre l’antigène du SARS-CoV-2 au système immunitaire, pour induire une réponse protectrice.
Ce consortium a déjà fait preuve de son expérience dans le développement de tels vaccins, dirigés contre le MERS, le VIH, la fièvre jaune, le virus du Nil occidental, la dengue et d’autres maladies émergentes. Leur vaccin est en phase préclinique.
Vaccin recombinant basé sur le virus de la grippe (Université de Hong Kong)
Il s’agit également d’un vaccin vivant qui utilise comme vecteur un virus de la grippe atténué, auquel on a retiré le gène de virulence NS1 pour le rendre non virulent et ajouté un gène du virus SARS-Cov-2.
Cette approche présente quelques avantages : elle pourrait être combinée à n’importe quelle souche de la grippe saisonnière, et servir ainsi en même temps de vaccin antigrippal. Celui-ci pourrait être fabriqué rapidement dans les mêmes chaînes de production que les vaccins contre la grippe, et pourrait être administré comme vaccin à pulvérisation intranasale. Ce vaccin est actuellement en phase préclinique.
Vaccin recombinant employant comme vecteur l’adénovirus du chimpanzé Oxford, ChAdOx1 (Jenner Institute, Université d’Oxford)
Ce vecteur atténué est lui aussi capable de transporter gène codant pour un antigène du coronavirus. En l’occurrence, l’adénovirus recombinant contient le gène de la glycoprotéine S du SARS-CoV-2. Il a été testé sur des volontaires avec des modèles pour le MERS, la grippe, le chikungunya et d’autres agents pathogènes tels que le paludisme et la tuberculose.
Ce vaccin peut être fabriqué à grande échelle dans des lignées cellulaires d’embryons de volailles. Il est en phase préclinique.
Vaccin à base de protéines recombinantes obtenu par nanotechnologie (Novavax)
Cette entreprise dispose déjà de vaccins en essai clinique de phase III contre d’autres infections respiratoires telles que la grippe adulte (Nano-Flu) et le virus respiratoire syncytial (RSV-F). Elle a aussi fabriqué des vaccins contre le SARS-CoV et le MERS-CoV.
Sa technologie est fondée sur la production de protéines recombinantes qui sont assemblées en nanoparticules et sont administrées avec un adjuvant breveté, Matrix-M. Ce composé (un mélange de saponines végétales, de cholestérol et de phospholipides) est un immunogène bien toléré capable de stimuler une réponse immunitaire non spécifique puissante et durable.
Vaccin à base de protéines recombinantes (Université de Queensland)
Cette approche consiste à créer des molécules chimériques capables de maintenir la structure tridimensionnelle originale de l’antigène viral. Ils utilisent une technique dénommée « pince moléculaire » (molecular clamp), qui permet de produire des vaccins utilisant le génome du virus en un temps record. Il est en phase préclinique.
Vaccin mRNA-1273 (Moderna)
Il s’agit d’un vaccin constitué d’un petit fragment d’ARN messager contenant les instructions nécessaires pour synthétiser une partie de la protéine S du SARS-Cov-2. L’idée est qu’une fois introduit dans nos cellules, ces dernières fabriquent la protéine virale, laquelle agirait comme un antigène et stimulerait la production d’anticorps par l’organisme. Il est en phase clinique et des essais ont commencé sur des volontaires sains.
Vaccin à base d’ARN messager (CureVac)
Il s’agit d’une proposition similaire à la précédente, basée sur l’emploi de molécules d’ARN messager recombinant qui sont facilement reconnues par la machinerie cellulaire et produisent de grandes quantités d’antigènes. Ils sont conditionnés dans des nanoparticules lipidiques ou d’autres vecteurs. En phase préclinique.
Vaccin DNA INO-4800 (Inovio Pharmaceuticals)
Cette plateforme fabrique des vaccins synthétiques basés sur l’ADN du gène de la protéine S de surface du coronavirus. Cette société avait déjà développé un prototype dirigé contre le MERS-CoV (vaccin INO-4700), actuellement en essai clinique de phase II.
Récemment, Inovio Pharmaceuticals a publié les résultats de la phase I du vaccin INO-4700 : ceux-ci prouvent qu’il est bien toléré et entraîne une bonne réponse immunitaire (laquelle se traduit par de hauts niveaux d’anticorps et bonne réponse des cellules T, qui se maintient pendant au moins 60 semaines après la vaccination). En phase préclinique.
De nombreuses autres pistes
La proposition espagnole vient quant à elle de recevoir un financement express du gouvernement. Ce vaccin proposé par le groupe de Luis Enjuanes et d’Isabel Sola consiste en un vaccin vivant atténué qui pourrait être plus facile à fabriquer que d’autres et beaucoup plus immunogénique, c’est-à-dire doté d’une meilleure capacité à stimuler le système immunitaire.
L’idée est de prendre de l’ARN du coronavirus et de le rétrotranscrire en ADN, puis d’utiliser cette molécule produire des mutants non virulents. Autrement dit, il s’agit de fabriquer une copie modifiée du virus, incapable de produire la maladie, mais qui resterait capable d’activer nos défenses immunitaires.
Aujourd’hui, aucun antiviral ou vaccin contre le SARS-Cov-2 n’a reçu d’agrément. Toutes ces propositions sont en phase expérimentale. Certaines ne fonctionneront pas, mais les chances de succès sont cependant élevées.
En outre, une revue de l’ensemble de l’arsenal thérapeutique et des vaccins en recherche et développement contre d’autres coronavirus humains, tels que le SRAS-CoV et le MERS-CoV, vient d’être publié.
Il existe à ce jour plus de 2 000 brevets relatifs à ces deux coronavirus. 80 % d’entre eux portent sur les agents thérapeutiques, 35 % sur les vaccins et 28 % sur les techniques de diagnostic (un brevet pouvant couvrir plusieurs aspects, il est normal que le total dépasse 100 %). Sur cette liste figurent plusieurs centaines de brevets portant sur des anticorps, des cytokines, des thérapies basées sur l’interférence ARN et autres interférons destinés à lutter contre le SARS-CoV-1 et le MERS-CoV. Ces pistes sont actuellement en stade de recherche et développement, et certaines pourraient bien fonctionner aussi contre le nouveau SRAS-CoV-2.
Il existe également plusieurs dizaines de brevets sur des vaccins potentiels contre le SRAS et le MERS dont nous pouvons tirer parti pour lutter contre le SRAS-CoV-2. Il s’agit de vaccins de toutes sortes : vaccins inactivés, vaccins vivants atténués, vaccins à ADN, à ARN, vaccins VLP (Virus Like Particule)… L’immense quantité de connaissances scientifiques déjà existante permettra d’accélérer les essais cliniques et expérimentaux destinés à combattre ce nouveau coronavirus.
Science et solidarité
L’OMS a annoncé un vaste essai clinique international appelé Solidarity, dont l’objectif est de rechercher un traitement efficace avec COVID-19. À ce jour, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Bahreïn, le Canada, l’Espagne, la France, l’Iran, la Norvège, la Suisse et la Thaïlande participent à ce projet d’essai clinique mondial de grande envergure, et de plus en plus de nations devraient s’y associer.
Sans aucun doute, l’heure est à la science et à la solidarité.
Cet article a été traduit de l’espagnol par Nolwenn Jaumouillé.
Ignacio López-Goñi, Catedrático de Microbiología, Universidad de Navarra
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image par Ahmad Ardity de Pixabay