L’an passé, les hausses de fiscalité énergétique proposées par Nicolas Hulot étaient passées comme une lettre à la poste lors de la discussion budgétaire. Elles sont moins fortes cette année. Et, pourtant, cela coince. Au parlement, en premier lieu, où un débat très vif s’est engagé sur la question. Encore plus sur le terrain, où l’incompréhension d’une partie des citoyens provoque un véritable mouvement de fronde qui se cristallise sur le prix des carburants.
Face à la montée des mécontentements, le gouvernement affiche une attitude de fermeté. Les locataires de Bercy ont été envoyés au front, se découvrant soudain des affinités écologiques. Ceux du ministère de l’Écologie restent en retrait. Cela donne du grain à moudre à tous ceux qui suspectent – ils sont nombreux – que la « fiscalité écologique » est une simple ruse de Bercy pour trouver des recettes fiscales et combler le trou budgétaire.
Ce face-à-face divise le corps social, alors que l’action face au changement climatique devrait au contraire rassembler les citoyens. Une étude récente de la Chaire économie du climat diagnostique les causes de la fronde actuelle. Ce diagnostic conduit à proposer des voies de sortie qui impliquent une bonne information des citoyens et des mesures d’accompagnement ciblées sur les foyers le plus vulnérables.
L’effet prix du pétrole
En renchérissant l’usage des énergies fossiles en proportion de leurs contenus respectifs en CO2, la taxe carbone frappe le porte-monnaie du citoyen. Lorsque le prix du pétrole et du gaz d’origine fossile est en baisse, le prélèvement est indolore. Le percepteur encaisse subrepticement l’impôt. Le citoyen s’en acquitte sans s’en rendre compte. C’est ce qui s’est passé en France entre 2014, année d’introduction de la taxe carbone, et 2017.
Changement total de perspective à l’automne 2018. Lorsque Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie, proposait d’accélérer la montée en régime de la fiscalité énergétique, le prix du baril sur le marché international n’était pas éloigné de 40 dollars. Lorsque le ministre de l’Économie Bruno Le Maire présentait cette année le projet de budget, il était au-dessus de 80 dollars. Pour le porte-monnaie des citoyens, c’est un double choc.
Entre septembre 2017 et septembre 2018, les ménages ont fait face à une hausse des tarifs de 22 % pour le gaz naturel et de 27,5 % pour le fioul domestique, les deux principales énergies utilisées pour le chauffage. La taxe carbone qui a été relevée au premier janvier dernier a contribué pour un peu plus d’un cinquième à ce renchérissement, le reste provenant de l’évolution des cours internationaux du pétrole et du gaz.
Les carburants à la pompe ont augmenté un peu moins fortement que les produits énergétiques pour le chauffage. La hausse du prix de l’essence sur la même période n’a été de 13 %. Celle du diesel a atteint 21 %. À l’impact du renchérissement de la taxe carbone s’est ajouté le rattrapage de la fiscalité diesel sur l’essence dont la finalité n’est pas de réduire les émissions de CO2, mais de lutter contre les pollutions locales propres à ce type de carburant.
Si les prix des énergies destinées au chauffage ont le plus augmenté, c’est pourtant sur les carburants que se cristallise le mécontentement. Pour le diesel, cela s’explique par le retournement total des politiques publiques opéré en quelques années. Le bonus-malus écologique, introduit à la suite du Grenelle de l’environnement, incitait fortement à acheter des voitures diesel, du fait de son barème reposant sur les émissions de CO2 au km. Une famille qui a répondu aux incitations de la politique publique au nom de la lutte contre le changement climatique se retrouve ainsi aujourd’hui avec un véhicule dont le coût d’usage augmente rapidement et dont la valeur de revente est en chute libre. On comprend son mécontentement.
Mais la raison principale de la cristallisation des mécontentements sur les carburants réside dans la grande faiblesse des mesures d’accompagnement destinées aux ménages.
Les mesures à moyen et long terme : un accompagnement pas très social !
Aussi souhaitable qu’elle soit, la montée en régime de la tarification carbone ne peut se faire « contre » les citoyens. Or, la fiscalité carbone sans recyclage ciblé des recettes est, par nature, anti-redistributive : elle pèse plus en proportion sur les ménages pauvres que sur les riches, et, pour les carburants, de plus en plus lourdement à mesure qu’on s’éloigne des centres-villes. Ce constat implique des mesures d’accompagnement tant à court terme qu’à moyen et long terme. Commençons par les secondes.
À moyen et long terme, le seul antidote contre les impacts négatifs de la fiscalité carbone est l’accès à l’énergie décarbonée pour tous. Une panoplie d’instruments vise à favoriser ces transformations d’ordre structurel, dont les effets ne peuvent se faire sentir qu’avec du temps.
En matière d’énergie utilisée dans la maison, il s’agit principalement des crédits d’impôts, des tarifs d’achat garantis pour les énergies renouvelables, des aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et des certificats d’économie d’énergie. À l’exception des aides de l’ANAH, la plus grande partie de ces mesures bénéficie en proportion davantage aux ménages aisés. Elles font de l’anti-redistribution.
Les aides publiques ciblant la mobilité concernent traditionnellement les transports en commun dont les effets distributifs sont incertains : les lignes à grande vitesse bénéficient en proportion plus aux cadres supérieurs, et celles desservant la « France de la périphérie » profitent plutôt aux foyers moins favorisés.
Il s’y ajoute désormais le système du bonus-malus, en principe neutre financièrement, qui bénéficie de plus en plus aux ménages aisés qui peuvent investir dans la voiture électrique. On y a récemment greffé le dispositif des primes à la reconversion des vieux véhicules, avec une modulation en faveur des ménages non imposables. Ce dernier dispositif est présenté comme redistributif, mais rien n’est moins sûr. L’expérience montre que ce type de subvention à l’achat d’une certaine catégorie de biens bénéficie souvent plus au vendeur qu’à l’acheteur. L’industrie automobile pourrait donc être, en dernier ressort, le véritable bénéficiaire de l’opération.
À court terme : la nécessaire refonte du chèque énergie
À court terme, le gouvernement doit faire face à la montée des récriminations face au renchérissement des prix des carburants, bien inutilement attisée par des postures politiciennes. Mais derrière ces postures, il y a une réalité incontournable : l’indigence des mesures d’accompagnement pour les ménages à faible revenu n’ayant pas ou peu d’alternatives à la voiture individuelle pour leurs déplacements.
La bonne méthode pour y remédier consiste à transformer le chèque énergie. Ce dernier devrait inclure une composante mobilité et gagnerait à être versé en monnaie, si possible en s’intégrant dans un dispositif plus global de type revenu minimum universel. Un tel tournant permettrait d’amortir la pression fiscale écologique grâce à des versements compensatoires forfaitaires et laisserait aux ménages bénéficiaires le libre choix de leurs dépenses.
Les sommes à mobiliser risquent d’apparaître comme autant de « manques à gagner » à Bercy, ce qui est une erreur de diagnostic : ce sont des investissements en capital humain, totalement justifiés sous l’angle de l’équité, et indispensables pour gagner l’adhésion des citoyens à la transition bas carbone.
À défaut de s’engager rapidement sur cette voie, le gouvernement peut gagner du temps en posant quelques rustines comme l’amélioration des primes à la reconversion pour les vieux véhicules qui ne sont pas l’instrument adapté et en croisant les doigts pour que le repli du prix du pétrole observé en octobre se poursuive. C’est une stratégie à courte vue.
Il ne faut pas mentir au citoyen : l’accélération de la transition bas carbone exigera dans les années qui viennent un renchérissement des énergies fossiles, probablement plus rapide que ce qu’indique la trajectoire actuelle de la taxe carbone. Si l’on veut réaliser cette transition sans laisser une fraction croissante de la population sur le bord de la route, il est urgent de mettre en place un filet de sécurité qui amortisse automatiquement, pour les plus vulnérables, les effets immédiats du renchérissement programmé des énergies fossiles.
Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire Économie du climat, Université Paris Dauphine – PSL et Anouk Faure, Doctorante en économie, chaire « Économie du climat » (Université Paris Dauphine), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Légende photo : Beaucoup d’automobilistes suspectent la « fiscalité écologique » d’être une simple ruse de Bercy pour trouver des recettes fiscales.
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