C’est le mal-aimé de l’éducation : le lycée professionnel est « la voie de garage » pour les collégiens en difficulté. Pourtant, il a tous les atouts pour réussir. Alors, le lycée pro est-il réservé aux mauvais élèves ?

Les Français plébiscitent le lycée professionnel. Dans un sondage récent, 65% en ont une opinion positive alors que l’enseignement en général n’est crédité que de 49% de bonnes opinions. Pour 77% d’entre eux, il contribue à la richesse de la formation française. Et 84% des anciens élèves de lycée pro estiment que c’était une bonne expérience. Alors, tout le monde devrait s’y précipiter… sauf que non, ça ne marche pas. Pour seulement 53% de ses élèves, le lycée pro est un choix. En gros, le lycée pro, c’est un peu comme Arte : tout le monde trouve ça super mais personne ne veut aller voir.

Formation de l’élite ouvrière

Ça n’a pas toujours été le cas. Dans les années 60, au début de son existence, la voie professionnelle était considérée comme la formation de l’élite ouvrière. Et c’est devenu là le problème. Parce que le monde ouvrier a perdu en prestige aux yeux des élites, sa formation d’excellence s’en est trouvée dévalorisée. Et ce d’autant plus qu’en 1985, une première réforme prévoit que ses diplômés devront être immédiatement employables. Ce qui diminue d’autant l’attrait pour poursuivre des études ensuite. De fait, alors que 94% des bacheliers des sections générales continuent dans le supérieur, ils ne sont que 46% dans les sections pro, dont l’immense majorité en BTS.

Enfin, dernier handicap qui résume les autres : la France est un pays éminemment académique. Il y a les matières nobles (français, maths, histoire, philo…) et les autres. Un rapport de la DEPP1 de 2022 souligne que 40% des secondes pro ont un niveau de français « fragile ou insuffisant ». Et ça monte à 69% en maths. La ministre de l’enseignement professionnel a même déclaré peu de temps après que « 16% des bacs pro a des difficultés de lecture ou d’écriture. » Dans ces conditions, difficile de faire glamour.

Le choix par défaut

Et c’est un cercle vicieux. Selon une étude du Cereq il y a « surreprésentation des jeunes d’origine sociale modeste, surreprésentation des jeunes aux acquis scolaires fragiles, orientation par défaut, décrochage scolaire ou encore difficultés de persévérance scolaire et de poursuite d’études. »

Le lycée professionnel devient alors un outil de reproduction sociale : 57% de ses élèves sont issus de milieux défavorisés. Deux fois plus qu’en lycée général . Et alors que l’indice de position sociale moyen est de 102 dans les lycées, il est de 118 dans les établissements généraux et technologiques et de 88 dans les lycées professionnels.

Le bâtiment et l’industrie attirent des élèves plus motivés

Alors, c’est fichu pour l’enseignement professionnel ? Il faut quand même nuancer en fonction des voies : si le tertiaire concentre les difficultés, d’autres comme le bâtiment ou l’industrie attirent des élèves plus motivés. La ségrégation sociale y est moindre. Et comme le soulignait l’INSEE dans un rapport « certains masters conduisent au même taux de chômage qu’un bac pro. » Version négative du fait que certains bac pro valent un master en terme de professionnalisation.

La tendance a commencé à s’inverser. Alors que jusqu’alors on était réorienté du lycée général vers le pro en cas d’échec mais exceptionnellement l’inverse, depuis 2009, des passerelles sont possibles pour « grimper » dans des filières plus valorisées. Même si cela reste encore peu utilisé. Pour beaucoup, ce serait un moyen de montrer que cet enseignement est au même niveau que les autres et qu’il n’est plus « une voie de garage ». Et surtout pas en sens unique.

Jean Luc Eluard

  1. Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, qui s’occupe notamment d’évaluer les politiques en matière d’enseignement ↩︎

Avec le soutien du ministère de la culture

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